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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/507

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BRIGITTE FERRAND

Il y eut un silence entre eux. Ignorante des événements tragiques qui s’étaient passés dans la famille Monneron depuis ces huit jours, Brigitte avait tout de suite rapporté cette visite du père de Jean à l’entretien solennel que son père, à elle, avait eu avec le jeune homme, précisément l’autre jeudi : Jean avait parlé à M. Monneron. Celui-ci apportait la réponse définitive qui devait fixer à jamais son bonheur ou son malheur, et, pour son esprit si profondément, si passionnément religieux, quelque chose de plus encore. Elle était trop croyante pour ne pas espérer que cette réponse serait favorable, ayant tant prié. On se rappelle le naïf soupir où s’était épanchée sa foi : « C’est comme si j’avais reçu une promesse !… » Mais elle était aussi trop éprise pour ne pas craindre cette éternelle menace du sort que les amoureux de tous les temps ont toujours sentie peser sur leur tendresse. Et maintenant elle la voyait devant elle, cette menace, dans la physionomie de cet homme qui la regardait avec des yeux où elle discernait un trouble trop profond pour n’en pas rester déconcertée. Cette comparaison de sa propre destinée avec celle de Victor Ferrand, de son enfant et de Brigitte, était trop amère à Joseph Monneron. Le sentiment d’hostilité avec lequel il était venu en était encore accru. Et cependant, pouvait-il demeurer insensible au charme émané de cette délicate fleur, de cette vierge au front éclairé de pensées ? Il y a chez les hommes dont la jeunesse fut très