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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/57

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L’OBSTACLE

Mais lui, ses parents étaient de Quintenas, il a fait ses études à Tournon, il a préparé ses examens à Lyon, il s’est marié à Nice, mon frère est né à Besançon, moi à Nantes, ma sœur à Lille, mon frère le plus jeune à Versailles, nous vivons à Paris. Sommes-nous du Centre, du Midi, de l’Est, de l’Ouest ? Nous n’en savons rien, ni mon père. Son pays, ce sont ses idées. Son milieu, ses idées encore. Sa réalité, ses idées toujours. Que j’ai senti cela vivement, tout jeune, qu’il ne me voyait pas, qu’il ne voyait pas mes frères et sœurs, qu’il ne voyait que ses pensées ! Mais, ce que je ne sentais pas alors et ce que je sens aujourd’hui, c’est qu’il y a, dans cet aveuglement, du parti pris et de la volonté. Non seulement il ne voit pas la vie, mais il ne veut pas la voir, parce que la réalité lui serait trop cruelle. En politique, il a toujours été républicain, avec quelle foi, une foi religieuse, dans les principes de 89, vous le savez ! Les faits ont beau lui démontrer que, plus la France s’enfonce dans le parlementarisme jacobin, plus elle est malade : il veut l’ignorer. Son métier de fonctionnaire chargé de famille l’a conduit, à quoi ? à devoir se surcharger de répétitions pour payer la petite assurance qui permettrait à sa veuve de vivre décemment, s’il venait à mourir. Il n’a pas eu, depuis sa sortie de l’École, une année pleine pour faire un livre, et vous savez s’il aimait, s’il aime les Lettres. C’est une existence de manœuvre qu’il a menée, pour nous. Il veut l’ignorer, comme il veut ignorer que sa