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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/188

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LA SITUATION ÉCONOMIQUE

durant le même laps de temps que la construction du canal de Mons à Condé, entreprise en 1807 et achevée seulement en 1814.

En revanche, et le contraste est caractéristique, les millions ont été prodigués sans compter au port d’Anvers. Jusqu’à la fin de l’Empire, le gouvernement y a entretenu à frais immenses des milliers d’ouvriers, employés au creusement des bassins, à l’établissement des quais, à la création d’une flotte militaire. Mais cet énorme effort ne devait profiter au pays qu’après la chute de Napoléon. Durant son règne il demeura stérile. Le blocus de l’Escaut par l’Angleterre empêcha toujours les vaisseaux de l’empereur de prendre la mer. Le public les comparait à des paralytiques[1] : ils ne furent qu’une menace inutile et, somme toute, quelque peu ridicule. La grandeur du port et la nouveauté de ses installations n’en faisaient que mieux ressortir l’abandon. C’est tout au plus s’il recevait quelques bateaux d’intérieur venus de Flandre ou de Hollande. À tout prendre, il n’était qu’une caserne navale, comme Anvers même n’était qu’une place de guerre. Son commerce demeura aussi chétif sous le maître de l’Europe, qu’il l’avait été depuis 1648, et Napoléon ne réussit pas mieux que Joseph II à rouvrir le fleuve qui destine cette place à être la métropole commerciale de la Belgique. De toutes les grandes villes du pays, elle est la seule dont la population n’ait pas augmenté de 1800 à 1814. Le silence de ses rues paraissait plus frappant aux étrangers par le contraste de l’agitation fiévreuse qui régnait au bord des eaux désertes de l’Escaut. Elle fut la victime des projets grandioses de Napoléon, ou, pour mieux dire, elle fut la victime de l’antagonisme irréductible qui se prolongea, jusqu’à sa chute, entre la France et l’Angleterre. Base navale inutilisée et inutilisable, elle végéta dans l’isolement au milieu de la renaissance économique dont en d’autres temps elle eût décuplé l’essor. Le pays que la nature avait doté d’un des plus beaux ports du monde, fut privé de son emploi par la politique. Il suffit de songer à cela pour se rendre

  1. Bulletin de l’Académie royale d’Archéologie, 1923, p. 131.