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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/393

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LA MUETTE DE PORTICI

Mais il faut se hâter car l’opinion est nerveuse et à mesure que les jours passent, elle s’énerve davantage. À Bruxelles, « on devient plus inquiet, plus remuant, et les groupes dans les rues deviennent plus bruyants ». Les journaux ne gardent plus aucune retenue. « Ils deviennent tellement hostiles au gouvernement qu’on ne conçoit pas comment, jusqu’à présent, il n’a pas eu recours à des mesures légales pour réprimer leur audace et faire cesser ce scandale »[1]. C’est qu’il sait trop bien que ces mesures provoqueraient infailliblement l’éclat qu’il veut éviter à tout prix. Son mot d’ordre est de s’abstenir de toute apparence de provocation, d’empêcher tout bruit inutile. Les fêtes et l’illumination préparées à Bruxelles pour le mercredi 25 août à l’occasion de l’anniversaire du roi, sont remises à plus tard, sous prétexte de pluie. La police n’ose interdire une représentation de la Muette de Portici, annoncée pour le même jour. Elle sait pourtant que le public saisira l’occasion d’y manifester[2]. Mais elle ne s’attend qu’à des criailleries et peut-être à ce que l’on réclame la Marseillaise. Les précautions qu’elle prend sont si anodines qu’elles attestent évidemment sa sécurité.

La population n’était ni mieux informée ni plus inquiète. Nulle trace parmi elle de cette angoisse qui précède les jours d’émeute ; elle est seulement curieuse de voir « s’il se passera quelque chose ». La badauderie l’attire vers un spectacle qui sera sans doute aussi intéressant dans le parterre que sur la scène. Le soir du 25 août, la salle de la Monnaie est comble. On s’y montre des dames de la société en grande toilette et des officiers hollandais en uniforme. À mesure que la représentation se déroule, à l’extérieur du théâtre s’amasse une foule de jeunes gens munis de leurs cannes et qui, visiblement, se préparent à une manifestation[3]. On dit que dans les cafés

  1. Gedenkstukken 1830-1840, t. I, p. 339.
  2. Dès le 23 août, l’ambassadeur autrichien Mier parle pour ce jour-là d’un « coup monté ». Gedenkstukken 1825-1830, t. I, p. 340.
  3. Voir surtout, pour les événements de cette soirée et des jours suivants, le rapport de de Knijff, le directeur de la police, au ministre van Maanen, dans C. Buffin, Mémoires et documents inédits sur la révolution belge, t. I, p. 564 et