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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/394

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LA SÉPARATION

voisins des inconnus distribuent de l’argent. Un piquet de gendarmerie dissiperait sans peine cet attroupement. Mais personne ne se montre. L’inertie des autorités est complète. Elles aussi attendent…

Tout à coup, des acclamations frénétiques s’élèvent de la salle et se répandent sur la place. Le ténor La Feuillade vient d’entamer l’air « Amour sacré de la patrie ». Toute l’assistance est debout, étouffant sous ses voix celle du chanteur. Des jeunes gens se précipitent au dehors et, comme si elle attendait un signal, la foule aussitôt se met en branle. Elle roule vers les bureaux du National. En un instant, les vitres volent en éclats, puis on court rue de la Madeleine assaillir la maison de Libri Bagnano. Au milieu des cris et des plaisanteries, elle est dévastée de fond en comble. Des curieux se sont amassés qu’amuse ce spectacle et qui encouragent les exécutants. Une intervention énergique mettrait fin au désordre qui n’est encore que bruyant. Mais en se prolongeant l’excitation s’aggrave. Au milieu des bandes tapageuses, des figures suspectes commencent à se mêler aux « gens bien mis » qui disparaissent peu à peu noyés dans la populace et s’éclipsent. Déjà on enfonce des boutiques d’armuriers ; on y enlève de la poudre et des fusils. Le tumulte se transforme en émeute et la bravade en audace. La cohue s’en prend maintenant aux autorités. Elle brise les vitres du bourgmestre et du procureur du roi. La demeure du chef de la police est dévastée. Le feu est mis à celles de van Maanen et du général commandant la ville. En route, on arrache et on foule aux pieds les armoiries royales qui décorent les magasins des fournisseurs de la cour. Surprises et ahuries, les autorités ont perdu la tête. Des forces de police, assaillies à coups de bouteilles, battent en retraite. Des détachements de chasseurs et de gendarmes n’osent charger. Plusieurs corps de garde se laissent désarmer, abandon-

    suiv. (Bruxelles, 1912), et la relation de l’Autrichien Mier, témoin oculaire. Gedenkstukken 1830-1840, t. III, p. 141 et suiv., ainsi que l’Ausfürliche Darstellung der Ursachen und Begebenheiten der belgischen Revolution am 25 August und den folgenden Tagen von einem Brüsseler Augenzeugen (Stuttgart, 1830). L’origine non belge de ces témoignages est une garantie de leur exactitude.