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Page:Planck - Initiations à la physique, trad. du Plessis de Grenédan, 1941.djvu/100

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donc qu’à demeurer fermes sur le terrain de nos perceptions propres. La loi de causalité apparaît alors comme une règle expérimentale qui attache les unes aux autres nos diverses perceptions propres ; mais sans que nous puissions naturellement jamais savoir si, l’instant d’après, la chaîne ne sera pas rompue. Nous devons donc, à vrai dire, nous attendre constamment à quelque prodige.

Que le prodige se laisse très bien concevoir et imaginer, nous nous sommes déjà amplement expliqués là-dessus en commençant et nous pouvons en avoir effectivement l’expérience dans nos rêves de chaque nuit. Si nous voulons cependant continuer à être logiques, il nous faut aller plus loin et avouer que le rêve ne se distingue, en général, en rien de la réalité, par aucun signe caractéristique. La loi de causalité ne peut ici nous servir de rien, car elle ne saurait y posséder plus qu’ailleurs une valeur sans limite et, à regarder les choses de près, il est fort possible d’avoir en rêve des perceptions causalement coordonnées. La force des perceptions ne saurait être, elle non plus, un signe décisif, car il est notoire que certains rêves font sur l’âme une impression à peine plus faible que celles des réalités. Qui donc, en me lisant, peut démontrer qu’il me lit autrement qu’en rêve ? Que l’on ne dise pas davantage qu’un songe se manifeste comme tel par son interruption soudaine au réveil. On peut aussi rêver que l’on s’éveille et pourtant continuer de rêver. Il pourrait fort bien arriver qu’une personne eût régulièrement, chaque nuit, un songe qui fût causalement la suite du songe fait la nuit précédente. Un pauvre être de cette sorte mènerait une vie en partie double et ne saurait jamais, avec quelque certitude, de quel côté la réalité se trouve et de quel côté le rêve. Nous le voyons, à s’en tenir à la pure logique, tout le système philosophique ordinairement désigné sous le nom de « solipsisme » ne peut être pris en défaut sur aucun point. Le solipsiste pose son moi au centre de tout ce qui peut arriver et être connu, il tient pour réel et indubitable tout ce qu’il éprouve et rien que cela, tout le reste est à ses yeux dérivé et secondaire. Pour le solipsiste, régulièrement, chaque soir, au moment précis où il s’endort, le monde disparaît sans bruit pour renaître, sans bruit de même, le lendemain matin et chose en vérité