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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 2.djvu/270

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CLITOPHON

Platon ne paraît donc pas s’être écarté de la tradition, ni probablement de la réalité, en faisant de Clitophon un satellite de Thrasymaque au 1er livre de la République, et en lui attribuant le rôle d’avocat du sophiste (340 a).

Cette même attitude d’hostilité à Socrate, mais encore plus accentuée, nous la retrouvons dans notre petit dialogue. C’est toujours à la société des rhéteurs qu’appartient Clitophon. Il a fait à Lysias ses confidences au sujet de l’éducation socratique ; il se montre sensible aux effets oratoires, aux discours soignés et bien dits (τούτοις δὴ τοῖς λόγοις καὶ ἑτέροις τοιούτοις παμπόλλοις καὶ παγκάλως λεγομένοις… 408 b), et ce n’est pas l’élégance qu’il reproche aux exhortations de Socrate, mais plutôt leur manque de conclusion pratique. À quoi tendent-elles, vers quelles techniques nous orientent-elles ? Or, n’était-ce pas la préoccupation dominante des sophistes, pour qui la formation à la vertu consistait d’abord à développer chez leurs disciples soit l’art, ou plus exactement la technique de la parole, soit la technique du gouvernement des cités ? Enfin, Clitophon menace Socrate de passer à l’adversaire, et l’adversaire, c’est Thrasymaque ; on ira chercher auprès de lui les solutions que Socrate garde jalousement et ne peut ou ne veut livrer. On dirait que ce dialogue prépare l’entrée en scène du sophiste au Ier livre de la République. Quoi qu’il en soit, le Clitophon des dialogues apparaît, comme celui de l’histoire, étroitement apparenté au cercle des sophistes. Ne pourrait-on risquer encore une conjecture ? La tradition des dialogues qui fait de Clitophon un disciple de Thrasymaque, ne s’appuierait-elle pas sur une tradition historique ? En faveur de cette hypothèse, on citerait un fragment de discours écrit par le sophiste. Ce dernier, en effet, prend prétexte de dissensions entre oligarques et démocrates pour ramener ses auditeurs à la vraie conception de la πάτριος πολιτεία, telle qu’elle a été pensée et voulue par les ancêtres ; il le fait en termes qui rappellent ces interventions politiques de Clitophon dont nous parlions plus haut[1]. Serait-ce rapprochement fortuit, ou bien ces ressemblances ont-elles suggéré au dialogiste l’idée d’une association intellectuelle entre les deux personnages ? C’est possible. Rien cependant ne contredit l’hypothèse qui fait de Clitophon un disciple de

  1. Diels, Die Fragmente der Vorsokratiker, II4, 78 Β 1.