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SAINT BASILE.

Il n’y a qu’un seul moyen de fuir toutes ces peines, c’est de se séparer du monde[1]. » Se séparer du monde, ce n’est pas s’en éloigner matériellement, mais c’est détacher l’âme de toutes affections qui l’unissent au corps[2] : » c’est n’avoir ni cité, ni maison, ne posséder rien en propre, n’avoir pas de liaisons d’amitié, pas de biens, pas de choses nécessaires à la vie, pas d’affaires ; ne point s’occuper de marchés, ignorer les sciences humaines, mais avoir le cœur prêt à recevoir les impressions qui lui viennent de l’enseignement divin[3]. Or la vraie préparation du cœur, c’est l’oubli des préjugés qui viennent de mauvaises habitudes. « On ne saurait écrire sur la cire sans avoir au préalable effacé les caractères qu’elle porte[4] ; de même on ne saurait graver dans son âme les préceptes divins sans en avoir fait disparaître les préjugés nés de mauvaises habitudes. »

Pour atteindre ce but, rien n’est plus utile que la solitude. Elle calme nos passions et elle donne a la raison le loisir de les extirper complètement de l’âme. De même que les bêtes féroces sont faciles


PLOTIN.

Il est également impossible que l’âme, au moment où elle est attentive et attachée à d’autres choses, prenne la forme de ce qui leur est contraire. « De même encore que l’on dit de la matière qu’elle doit être elle-même privée de toute qualité pour être susceptible de recevoir toutes les formes ; de même, et à plus forte raison encore, l’âme doit-elle être dégagée de toute forme, si elle veut que rien en elle ne l’empêche d’être remplie et illuminée par la nature première [le Bien]. »

Ainsi, après s’être affranchie de toutes les choses extérieures, « l’âme se tournera entièrement vers ce qu’il y a de plus intime en elle ; elle ne se laissera détourner par aucun des objets qui l’en-

  1. « Puisque le mal règne ici-bas et domine inévitablement en ce monde, et puisque l’âme veut fuir le mal, il faut fuir d’ici-bas. » (Plotin, Enn. I, liv. II, § 1 ; t. I, p. 51.)
  2. Voy. ci-dessus p. 648 (2).
  3. « Il faut donc nous hâter de sortir d’ici-bas, nous détacher autant que nous le pouvons du corps auquel nous avons le chagrin d’être encore enchaînés, faire nos efforts pour embrasser Dieu par tout notre être, sans laisser en nous aucune partie qui ne soit en contact avec lui. » (Plotin, Enn. VI, liv. IX, § 9 ; t. III, p. 560.)
  4. La comparaison de la cire remplace ici celle de la matière qui se trouve dans Plotin, mais la pensée est évidemment identique.