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Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 4, 1927.djvu/157

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sa conscience, et elle ne lui permet pas, dit-il, d’adhérer à une doctrine militaire qui manque de clarté. C’est un sujet sur lequel il ne conçoit la possibilité d’aucune transaction. Je crains que ce refus, dont M. Léon Bourgeois ne dissimule pas la cause, n’ait pour conséquence de jeter maintenant un doute sur les intentions de M. Viviani et ne donne à son cabinet un caractère très différent de celui que nous avions, tout d’abord, envisagé. M. Viviani paraît fort embarrassé. Il s’adresse à M. Peytral, qui refuse, à M. Lebrun, qui refuse, à M. Combes, qui refuse, à M. Jean Dupuy, qui hésite, à quelques autres, qui promettent leur concours ; et ce n’est que dans la soirée qu’il finit par grouper autour de lui MM. René Renoult, Malvy, Noulens, Messimy, Thomson, Justin Godart.

Avant de réunir ses futurs collaborateurs, le samedi 6 juin, il vient me voir au début de la matinée. Je le trouve de plus en plus nerveux. Il n’a pas, me dit-il, dormi un seul instant ; il a eu les larmes aux yeux toute la nuit. Jamais jusqu’ici je ne l’ai vu aussi impressionnable. Sous l’influence des difficultés, sa sensibilité, toujours très vive, et parfois un peu brusque, a pris une forme presque morbide. Il me communique le texte qu’il se propose de consacrer, dans la déclaration ministérielle, à la loi militaire et de soumettre dans quelques minutes à ses collègues. La rédaction embarrassée de plusieurs passages est évidemment destinée à favoriser l’évolution des députés qui ont promis à leurs électeurs l’abrogation de la loi et qui jugent maintenant contraire à l’intérêt national l’exécution de cette promesse. Mais elle ne satisfera guère ceux qui, en votant le service de trois