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Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/122

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pour rien ou presque pour rien, acquérant un prix toujours plus élevé, la gratuité primitive disparaît, le régime de la valeur prend le dessus, et déjà commence à se former un prolétariat… Un phénomène analogue se passe en Espagne. Après des siècles de torpeur, l’Espagne se réveille tout à coup à l’appel du travail et de la liberté. Elle se met à exploiter son territoire ; la richesse jaillit aussitôt de partout et pour tout le monde. Le salaire s’élève, chose toute simple, puisque c’est le sol et l’étranger qui payent. Mais attendez que la population se soit mise au niveau de cette richesse, ce qui peut se faire en moins d’un demi-siècle, et l’Espagne vous reparaîtra, dans des conditions de moralité supérieure, il faut l’espérer, ce qu’elle fut d’Isabelle Ire à Isabelle II, en équilibre, c’est-à-dire pauvre.

Ainsi, me dira tout à l’heure quelque fanatique de Mammona, la déesse du numéraire, il est inutile que nous nous donnions tant de peine. Ces entreprises nationales, ces travaux gigantesques, ces machines merveilleuses, ces inventions fécondes, cette gloire de l’industrie, tout cela ne sert qu’à étaler notre impuissance, et nous ferons sagement d’y renoncer. Outillage de misère, duperie pure. Car, à quoi bon tant suer et nous ingénier, si nous n’avons à attendre de notre travail rien de plus que le nécessaire ? La sagesse est dans l’humilité des moyens, l’étroitesse des conceptions, la vie mesquine, le petit ménage. Certes, vous remplissez une noble mission : décourager les âmes, rapetisser les intelligences, glacer les enthousiasmes, stériliser le génie, c’est là votre morale, c’est votre civilisation, votre paix ! Ah ! si c’est ainsi que vous pensez nous délivrer de la guerre, nous préférons mille fois en courir les risques. Payons, s’il faut, un milliard de plus au budget, et qu’on nous laisse le prestige de notre industrie, les illusions de nos entreprises.