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Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/132

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L’idée de tripler, de quadrupler la production d’un pays, comme on triple et quadruple une commande chez le fabricant de toile ou de drap, et abstraction faite d’une augmentation proportionnelle dans le travail, le capital, la population et le débouché, abstraction faite surtout du développement parallèle des intelligences et des mœurs, qui est ce qui exige le plus de soin et coûte le plus cher, cette idée, dis-je, est plus irrationnelle encore que la quadrature du cercle : c’est une contradiction, un non-sens. Mais c’est justement aussi ce que les masses se refusent à comprendre, ce que les économistes négligent de mettre en lumière, et sur quoi les gouvernements gardent un silence prudent. Produisez, faites des affaires, enrichissez-vous : c’est votre unique refuge, maintenant que vous ne croyez plus à Dieu ni à l’humanité.

L’effet de cette illusion, et de la déception amère qui en est l’inévitable suite, est d’exalter les appétits, de rendre le pauvre comme le riche, le travailleur comme le parasite, intempérant et avide ; puis, quand arrive la déconfiture, de l’irriter contre son mauvais sort, de lui faire prendre la société en haine, finalement de le pousser au crime et à la guerre.

Mais ce qui met le comble au désordre est l’excessive inégalité de répartition des produits.

On a vu au chapitre précédent que le revenu total de la France n’excède pas selon toute probabilité 87 cent. 5 par jour et par tête. Quatre-vingt sept centimes et demi par jour et par personne : voilà ce qu’il est permis aujourd’hui de considérer comme le revenu, c’est-à-dire comme le produit moyen, partant comme la consommation moyenne de la France, l’expression de son juste besoin.

Si ce revenu, tout faible qu’il semble, était assuré à chaque citoyen ; en autres termes si chaque famille française, composée du père, de la mère et de deux enfants,