Aller au contenu

Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/201

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mangés, nous mangeraient volontiers eux-mêmes. Confessons-nous les uns les autres. Tel qui ne cesse d’accuser l’ambition française est tourmenté du même aiguillon. La Prusse, qui ne sut en 1804 accepter ni refuser le Hanovre, qui convoite le Holstein, qui ambitionne de changer son titre de royaume de Prusse en celui plus sonore d’empire germanique, la Prusse, à qui les traités de 1815 ont fait franchir le Rhin, qui compte dans le Luxembourg des sujets de langue française, franchirait également, sans se faire prier, la Meuse, et pousserait jusqu’à la Marne. Quelle nation en Europe, animée par la haine du premier empire, ne referait avec délices le voyage de 1815, et ne s’accommoderait d’un lambeau de ce grand corps qui a nom la France ? Le libéralisme, le constitutionnalisme, le philosophisme, la communauté des principes et des tendances, n’y font rien : conquérir ou être conquis, c’est la loi. Question de subsistance, cas de guerre.

Au reste, les peuples n’attendent pas aujourd’hui la sollicitation de leurs princes. Quand ce ne sont pas les gouvernements qui s’attaquent les uns les autres, ce sont les populations qui prennent à partie les gouvernements, réclamant des réformes, et, si les réformes n’arrivent pas, faisant des révolutions. Le prolétaire accuse le bourgeois, qui de son côté accuse la noblesse, l’Église, la cour, l’armée. A peine revenus de Villafranca, les deux empereurs Napoléon III et François-Joseph sont assaillis par leurs peuples, qui demandent des libertés. Du pain et la Constitution de 93, criaient les insurgés de prairial. Du pain ou du plomb, hurlaient ceux de 1848. Comment refuser à ces bien-aimés sujets là liberté grande ? L’un donne son décret du 24 novembre, l’autre sa patente du 27 février. Et les sujets ne sont pas contents !… Ainsi encore après la guerre de Crimée, les paysans moscovites réclament leur émancipation ; les Roumains, les Monténégrins, les Serbes,