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Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/225

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exploiteurs, contente de son sort, lui tendrait une main fraternelle.

Ici la raison d’État se joignant à la raison économique, les considérations d’ordre public aux considérations d’humanité, rien ne manquerait à la légalité de ce grand acte de dépossession et de dénationalisation.

Voilà ce qu’aux termes de la jurisprudence guerrière, professée par tous les légistes depuis Grotius jusqu’à M. Hautefeuille, pratiquée avec plus ou moins d’intelligence par tous les conquérants, depuis Nemrod jusqu’à Napoléon ; par toutes les aristocraties, depuis les patriarches de la Bible jusqu’aux boyards de Moscovie et aux lords d’Angleterre ; par toutes les bourgeoisies, depuis celles de Tyr et de Carthage jusqu’à celles de Venise, d’Amsterdam et de Londres ; voilà, dis-je, ce que la France victorieuse serait en droit de faire subir à sa rivale, à la suite d’une guerre pour la suprématie en Europe. Le seul moyen, en effet, de contenir une nation vaincue et dont l’incorporation est impossible, c’est d’anéantir par la spoliation toute la classe riche et de faire du pays une vaste métairie, en divisant la population contre elle-même et faisant participer aux dépouilles de la classe riche la classe la plus nombreuse et la plus pauvre.

Supposons maintenant la fortune contraire : l’Angleterre, appuyée par une coalition européenne, détruisant la flotte française dans un autre Aboukir ; les armées impériales anéanties dans un second Leipzig, suivi d’un second Waterloo ; la France envahie, Paris pris. Quelle sera la pensée des vainqueurs ? Le baron de Stein, l’esprit le plus libéral de toute l’Allemagne, mais qui n’aimait pas la France, Blücher et le Tugendbund nous l’ont dit, il y a quarante-six ans, et je l’ai entendu de mes propres oreilles répéter par leurs successeurs : ce sera, après avoir opéré sur la constitution économique du pays comme il a été dit tout à