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Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/232

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ménage les rajahs et les brahmanes. Les nationalités ont vécu et grandi jusqu’à présent par leurs aristocraties ; c’est pour cela que la Pologne ne sera pas regardée comme soumise et définitivement incorporée tant qu’il restera une noblesse qui la représente et qui proteste ; et c’est pourquoi la conscience universelle réprouve les exécutions et les confiscations exercées contre cette noblesse par des conquérants qui ne savent ni la fléchir ni la remplacer.

Mais, si telle est la tendance des mœurs modernes, s’il est acquis à la civilisation que l’incorporation d’un pays dans un autre emporte de plein droit, pour les habitants incorporés, avec l’isonomie, le respect de leurs propriétés, quel avantage peut offrir encore la conquête, et comment la guerre ne cesse-t-elle pas d’elle-même, faute de pouvoir être bonne à rien ? Qu’importe au Piémont d’obtenir la Lombardie, à l’Autriche de l’avoir perdue, si en dernière analyse les habitants de cette province jouissent des mêmes avantages, supportent les mêmes charges, que ceux de l’État dans lequel ils se trouvent incorporés ; si, selon les règles d’une bonne administration, l’impôt payé par chaque localité ne doit être dépensé que pour le service de la localité ? Qu’est-ce que le Piémont, la France, la Suisse, ont à perdre ou à gagner, dans de telles conditions, à l’annexion de la Savoie ? De quel avantage serait pour nous autres Français la frontière du Rhin ? Et réciproquement, que peut faire à la Lombardie de se dire piémontaise plutôt qu’autrichienne ; à la Savoie de devenir républicaine en s’unissant aux Suisses, ou impériale en passant aux Français ; à la Belgique de conserver son indépendance ou d’entrer dans notre orbite ? Avec l’isonomie qu’aucun État conquérant ne refuse plus ; avec un budget réduit à sa plus juste expression ; avec le libre échange qui gagne partout en faveur ; avec la jouissance des libertés politiques, la question de nationalité est, à ce point de vue des intérêts,