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Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/316

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guerre. — Si nous consultons les théologiens et les philosophes, la justice n’aurait rien en nous de positif, de réel, d’organique ; ce n’est pas un fait. C’est la conception par l’esprit d’un rapport de convenance entre les personnes et les intérêts, mais rapport qui ne devient obligatoire pour la volonté qu’en considération d’un motif supérieur qui détermine. Ce motif ou mobile, pour le croyant, est la crainte de Dieu ; pour l’incrédule, l’intérêt bien entendu. Je laisse de côté les systèmes intermédiaires, mi-partis d’utilitarisme et de religion.

Il est évident qu’aux yeux du théologien de même qu’à ceux du rationaliste la justice par elle-même n’est de rien pour l’homme ; que nous sommes maîtres d’y avoir ou de n’y avoir point égard, sans qu’il en résulte pour nous, au fond, ni mérite ni démérite. Il y a plus : c’est que si l’intérêt, mobile supérieur indiqué par Hobbes, trouve son compte à violer la justice ; si le service de Dieu, mobile suprême du chrétien, exige le sacrifice de tout autre devoir humain, la justice devra être abandonnée sans hésitation : ce serait impiété à celui-ci de préférer son devoir à son Dieu, duperie à celui-là de le préférer à son intérêt.

La guerre nous donne de la justice une tout autre idée.

D’après l’analyse que nous avons faite du droit de la force, la justice, dans son acception la plus générale, est le respect de la dignité humaine, considérée dans l’ensemble et successivement dans chacune de ses manifestations. Ce respect nous est inné : c’est de tous nos sentiments le plus éloigné de l’animalité ; de toutes nos affections la plus constante, celle dont l’action, l’emportant à la longue sur tout autre mobile, détermine le caractère et la marche de la société. Rapporté à moi, le respect de la dignité humaine forme ce que j’appelle mon droit ; rapporté à mes semblables, il constitue mon devoir.