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Page:Psichari - L'Appel des armes (1919).djvu/302

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nous impérieusement, qu’on est sûr qu’on aurait écrits, à telle heure, si l’on avait eu du génie…

Maurice eut un saisissement. Un Maure, près de lui, embrassait d’un grand geste l’horizon :

— Dieu est grand, dit-il gravement au jeune Français.

Et voici que Maurice entend au fond de lui des voix qu’il avait oubliées. Elles croissent et se multiplient, et elles le possèdent tout entier, et il a peur, parce qu’il ne comprend pas clairement ce qu’elles lui disent. Étant petit, quand il allait sur les bords du Grand Morin, il tremblait d’amour en voyant l’eau si légère, l’air si léger, tout si léger, si fluide. C’était une longue hérédité d’amour qui l’oppressait.

Dans son trouble, il attendait que la cloche du village vînt mettre un bruit humain dans le silence, et quand la brise apportait les notes adorées, à l’heure qu’il savait, une paix divine alourdissait son cœur jusqu’à la souffrance. Après ces grisailles d’adolescence, il a connu des heures claires. Les livres, la vie, ont tout emporté des songes mystiques d’autrefois. Il a voulu courir le monde, avide de réalités. Les terres qu’il parcourt, ce sont de grands magasins d’images où il se saoule de couleurs dis-