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Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/364

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le qvart livre

Encores mieulx, diſt Pantagruel, quand il interrogé des quelz plus grand eſtoit le nombre, des mors ou des viuens ? demanda. Entre les quelz comptez vous ceulx qui nauigent ſus mer ? Subtilement ſignifiant que ceulx qui ſus mer nauigent, tant près ſont du continuel dangier de mort, qu’ilz viuent mourans, & mourent viuens. Ainſi Portius Cato[1] diſoit de troys choſes ſeulement ſoy repentir. Sçauoir eſt, s’il auoit iamais ſon ſecret à femme reuelé : ſi en oiziueté iamais auoit vn iour paſſé : & ſi par mer il auoit peregriné en lieu aultrement acceſſible par terre. Par le digne froc que ie porte, diſt frere Ian à Panurge, couillon mon amy, durant la tempeſte tu as eu paour ſans cauſe & ſans raiſon. Car tes deſtinees fatales ne ſont à perir en eau. Tu ſeras hault en l’air certainement pendu : ou bruſlé guaillard comme vn pere[2]. Seigneur voulez vous vn bon guaban contre la pluie ? Laiſſez moy ces manteaulx de Loup & de Bedouault. Faictez eſcorcher Panurge, & de ſa peau couurez vous. Ne approchez pas du feu, & ne paſſez par dauant les forges des mareſchaulx, de par Dieu. En vn moment vous la voyriez en cendres. Mais à la pluie expoſez vous tant que vouldrez, à la neige, & à la greſle. Voire par Dieu, iectez vous au plonge dedans le profond de l’eau, ia ne ſerez pourtant mouillé. Faictez en bottes d’hyuer : iamais ne prendront eau. Faictez en des naſſes pour apprendre les ieunes gens à naiger. Ilz apprendront ſans dangier. Sa peau doncques, diſt Pantagruel, ſeroit comme l’herbe dicte Cheueu de Venus, laquelle iamais n’eſt mouillee ne remoytie : touſiours eſt ſeiche, encores qu’elle feuſt on profond de l’eau tant que vouldrez. Pourtant eſt dicte Adiantos.

  1. Portius Cato. Voyez Plutarque, Marcus Cato le cenſeur, XVIII.
  2. Guaillard comme vn pere. Nous trouvons plus loin, p. 422 : Aiſes comme peres ; et dans ce dernier passage il s’agit du bon temps que se donnent les moines. C’est ici, selon nous, une locution analogue, mais employée ironiquement : « Tu seras pendu ou brûlé, gai comme un moine. » Selon Le Duchat « gaillard comme vn pere » est un équivalent de :

    ...Cent fois plus gay que Perot.

    (Coquillart, Monologue des perruques)

    ou de « guay comme Perot. » (Henri Eſtienne, Apologie pour Hérodote, c. XVI, t. I, p. 330) ; et ces diverses locutions signifient toutes : « gay comme papeguay, » c’est-à-dire « comme un perroquet, » expression employée plus loin, p. 501, par Panurge. Quant à Burgaud des Marets, s’emparant d’une opinion abandonnée par Le Duchat, il explique la phrase qui nous occupe par : « Hardiment brûlé comme un hérétique, » en prenant gaillard dans le sens adverbial et en expliquant comme un père par « comme un patarin ou hérétique, ainsi nommé du Pater. » « Personne ne croira, dit-il gravement, que les perroquets ou les, pinsons, pas plus que les gens, soient gais quand on les brûle. » Certes, mais il est bien clair que frère Jean ne parle pas sérieusement.