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Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/430

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Comment petites pluyes abattent les grans vents.

Chapitre XLIIII.


Pantagrvel louoyt leur police & maniere de viure, & diſt à leur poteſtat Hypenemien[BD 1]. Si recepuez l’opinion de Epicurus, diſant le bien ſouuerain conſiſter en volupté, Volupté, diz ie, facile & non penible, ie vous repute bien heureux. Car voſtre viure qui eſt de vent, ne vous couſte rien ou bien peu, il ne fault que ſouffler. Voyre, reſpondit le Poteſtat. Mais en ceſte vie mortelle rien n’eſt beat de toutes pars[1]. Souuent quand ſommes à table nous alimentans de quelque bon & grand vent de Dieu, comme de Manne celeſte, aiſes comme peres[2], quelque petite pluye ſuruient, la quelle nous le tolliſt & abat. Ainſi ſont maints repas perduz par faulte de victuailles. C’eſt, diſt Panurge, comme Ienin de Quinquenays piſſant ſus le feſſier de ſa femme Quelot abatit le vent punays, qui en ſortoit comme d’vne magiſtrale Æolopyle[BD 2]. I’en feys nagueres vn dizain iolliet.

Ienin taſtant vn ſoir ſes vins nouueaulx
Troubles encor & bouillans en leur lie,

  1. Hypenemien. venteux. Ainſi ſont dictz les œufz des Poulles & autres animaulx, faictz ſans copulation du maſle. Desquelz iamois ne ſont eſclous poulletz, &c. Ariſt. Pline. Collumella
  2. Æolipyle. porte d’Æolus. C’eſt vn inſtrument de bronze clous, onquel eſt vn petit pertuys, par lequel ſi mettez eaue, & l’approchez du feu, vous voirez ſortir vent continuellement. Ainſi ſont engendrez les vents en l’air, & les ventoſitez es corps humains par eſchauffemens ou concoction commencee non parfaicte, comme expoſe Cl. Galen. Voyez ce que en a eſcript noſtre grand amy & ſeigneur monſieur Philander ſus le premier liure de Victruue
  1. Rien n’eſt beat de toutes parts.

    ... Nihil est ab omni
    Parte beatum.

    (Horace, Odes, II, 16, v. 27)
  2. Aiſes comme peres. Voyez ci-dessus, p. 284, note sur la l. 17 de la p. 356.*
    * Guaillard comme vn pere. Nous trouvons plus loin, p. 422 : Aiſes comme peres ; et dans ce dernier passage il s’agit du bon temps que se donnent les moines. C’est ici, selon nous, une locution analogue, mais employée ironiquement : « Tu seras pendu ou brûlé, gai comme un moine. » Selon Le Duchat « gaillard comme vn pere » est un équivalent de :

    ...Cent fois plus gay que Perot.

    (Coquillart, Monologue des perruques)

    ou de « guay comme Perot. » (Henri Eſtienne, Apologie pour Hérodote, c. XVI, t. I, p. 330) ; et ces diverses locutions signifient toutes : « gay comme papeguay, » c’est-à-dire « comme un perroquet, » expression employée plus loin, p. 501, par Panurge. Quant à Burgaud des Marets, s’emparant d’une opinion abandonnée par Le Duchat, il explique la phrase qui nous occupe par : « Hardiment brûlé comme un hérétique, » en prenant gaillard dans le sens adverbial et en expliquant comme un père par « comme un patarin ou hérétique, ainsi nommé du Pater. » « Personne ne croira, dit-il gravement, que les perroquets ou les, pinsons, pas plus que les gens, soient gais quand on les brûle. » Certes, mais il est bien clair que frère Jean ne parle pas sérieusement.