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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/562

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l’homme et la terre. — le roi soleil

Sud et celles de la vallée du Yangtse. Mais peut-être le succès de la propagande dans ces régions du Midi était-il causé partiellement par les sentiments de révolte qui fermentaient encore dans la population contre les conquérants venus du Nord. Aussi le vice-roi de Canton supplia-t-il l’empereur, en un long mémoire (1716), de parer au danger et d’expulser les missionnaires, ces hommes « dont l’unique but était de séduire les âmes pour les entraîner à croire des doctrines contraires à celles des grands sages de la Chine ». Kanghi agréa la demande du vice-roi de Canton, et, tout en prenant des mesures d’exception en faveur de quelques-uns des résidants de Péking, il décréta le bannissement de tous les autres prêtres catholiques, avec peines sévères contre ceux qui continueraient de résider secrètement dans les provinces. La raison déterminante de l’acte de proscription, analogue à celui que Louis XIV, le Kanghi de l’Occident, venait de prendre contre ses sujets de religion protestante, provenait de l’audacieuse intervention de Rome dans les affaires intérieures de la Chine. Jaloux de son autorité, Kanghi avait été indigné de voir un légat du Pape se permettre de s’établir à Péking pour décider de choses qui intéressaient directement son empire, et, en outre, il voulait en finir avec les ennuis que lui donnaient les dissensions des jésuites et des religieux d’autres ordres.

En réalité, ces événements constituaient un triomphe de l’Église catholique traditionnelle contre les jésuites, mais un triomphe bien chèrement acheté puisque l’Église elle-même y perdait une des plus importantes provinces de son domaine. Car la persécution fut efficace. La religion des Occidentaux, après son ère de prospérité, disparut presqu’entièrement de l’empire jusqu’à la nouvelle invasion des missionnaires qui se produisit au dix-neuvième siècle, sous la pression commerciale et politique de la société européenne. Mais la phase moderne de la propagande ne présente pas les mêmes conditions que l’ancienne : elle s’adresse beaucoup moins à la population résidante et travailleuse des « Cent familles » qu’à ceux des habitants, plus ou moins déclassés, qui ont intérêt à trouver des protecteurs mondains dans leurs « pères spirituels »[1] et, par leur entremise, dans les consulats des puissances étrangères.

C’est également dans la partie méridionale du Japon que le christia-

  1. A. de Pouvourville, L’Empire du Milieu, p. 150.