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Page:Renaud - Recueil intime, 1881.djvu/65

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UN LIS

Et sur leurs vains débris où rampent les cloportes,
A poussé d’elle-même une mystique fleur,
Enivrante avec calme et belle avec pâleur.
Son calice profond s’ouvre pour toute larme.
De sommeil et d’oubli son parfum verse un charme :
Sommeil chassant l’orgueil, oubli du mal passé,
Où par l’espoir et par le rêve on est bercé.
Si haut, dans l’infini, plane sa tête fière
Qu’il ne peut jusque-là monter vent ni poussière.
Elle ne connaît pas le monde, ne veut rien
Des hommes ; sans souci qu’on lui dise : c’est bien,
Ou : c’est mal, loin de tout, rires, haines, louanges,
Dans l’azur, elle songe à la beauté des anges.

Sachant qu’elle possède en son cœur un trésor,
A l’abri des regards elle met ce cœur d’or
Dans un calice blanc à donner le vertige.
S’isoler lui va mieux que de courber sa tige
Vers les faiseurs de bruit, vers les vainqueurs d’un jour ;
Et si jamais du ciel descendait son amour,
Ce serait sur une âme obscurément martyre,
Sur un grand cœur, n’ayant qu’elle pour lui sourire.

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