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Page:Renaud - Recueil intime, 1881.djvu/67

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LA CHARITÉ AU DÉSERT

Lui faisaient sur les cils sourdre une larme amère,
Et cela lui jetait le morne hébétement ;
Et ses yeux sans regards s’éteignaient lentement ;
Il râlait, quand voici qu’une large main noire
Mit un vase devant sa lèvre et le fit boire.
La boisson de salut, l’eau pure, l’eau de Dieu,
Oh ! comme elle fut douce à son gosier en feu !
Les muscles ranimés bougèrent ; la narine,
Se soulevant, jeta de l’air dans la poitrine ;
Et des flots de sang frais coulèrent par le corps.

Or il était ainsi ressuscité des morts
Par la compassion d’une vieille négresse
Bien pauvre, mais ayant dans le cœur sa richesse,
Et qui, voyant par terre agoniser ce blanc,
Avait, pour le sauver, hâté son pas tremblant.
Maintenant il est fort ; la négresse l’emmène ;
Dans sa case de jonc, pendant une semaine,
Soigne ses pieds blessés, l’habille, le nourrit,
Jusqu’à ce que, dispos de corps comme d’esprit,
Des pays monstrueux il se remette en quête,
Avec tristesse, et non sans retourner la tête.

Quand je lus ce récit, je me sentis heureux.