Aller au contenu

Page:Renaud - Recueil intime, 1881.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
65
LA CHARITÉ AU DÉSERT

Et que, l’âme et le corps, en vous tout est complet,
Cœurs qui donnez l’amour, seins qui donnez le lait.
Vous avez des pitiés pour tout dans la nature ;
Un oiseau dont les œufs sont brisés vous torture ;
Et, bien que votre forme ait l’exquise beauté,
Qu’il ne soit rien en vous qui ne soit volupté,
La grâce de vos fronts fait encor moins vos charmes
Que la compassion de vos yeux pleins de larmes.

Hélas ! le monde est sombre ; on sent à chaque pas
Qu’une illusion part qui ne reviendra pas,
Et qu’à force de voir ce qui se fait d’infâme,
On perd fatalement les lueurs de son âme.
Que nous resterait-il à nous tous, les soldats,
Qui combattons avec la pensée ou le bras,
Si, fermant la blessure et guérissant le doute,
Vous n’apparaissiez point aux haltes de la route,
Pour faire aimer la vie, ô vous qui la donnez ?
Et comme nous serions sanglants et consternés,
Si vous ne versiez pas sur nos fronts taciturnes
Ces baumes de douceur dont vos cœurs sont les urnes !