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Page:Renouvier - Les Dilemmes de la métaphysique pure, 1901.djvu/112

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menté d’une unité. Au contraire on appelle actuellement infinie une quantité qu’on suppose donnée et dont le compte des parties, inépuisable selon la conception qu’on s’en forme, se trouverait l’être en fait également ; si, par impossible, il était entrepris, et cela quelque loin qu’il fût poussé, en sorte qu’elle ne pourrait jamais devenir une donnée. Que la première idée ait pu conduire à la seconde, qui en est formellement la contradictoire, on se l’explique par le réalisme instinctif de l’esprit qui, en pensant à l’accumulation indéfinie des éléments composants de certains objets, se sent sollicité à en former idéalement la synthèse intégrale, et à les assembler dans le concept nominal d’un sujet.

Le mot grec ἄπειρος, dont le français, illimité, est l’exact équivalent, se prêtait à rendre l’idée de la chose inépuisable, sans qu’on fût obligé de répondre catégoriquement à la question de l’état actuel de cette chose, relativement à la numération. C’est ainsi qu’Anaximandre a pu imaginer, en regard des mondes qui se forment et se détruisent, l’existence en tout temps de qualités sans bornes, dont la substance unique compose ces mondes innombrables ; et peut-être Anaxagore, plus tard, n’a-t-il pas eu des idées plus arrêtées sur la multiplicité infinie ou indéfinie des homéoméries (XXII).

Les anciens pythagoriciens donnaient, eux aussi, à l’illimité un sens bien différent de l’infini des modernes. Ce terme de leur table des oppositions ne s’appliquait à la matière que comme un multiple confus de tous les genres que le Nombre ne soumet pas à la mesure. Il servait à désigner l’état d’indétermination qui précède l’harmonie du Cosmos, obtenue progressivement par l’introduction de la limite (πέρας). Dans cette