Page:Renouvier - Les Dilemmes de la métaphysique pure, 1901.djvu/284

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et les hésitations sont quelquefois la marque chez l’animal supérieur, n’aurait pas même un réel intérêt à enregistrer les événements, la connaissance des lois qui par le passé éclairent le présent et font présager l’avenir ne lui étant d’aucune utilité. Dans la supposition où le déterminisme serait la vérité, on peut se convaincre avec un peu de réflexion que la loi de la nature à laquelle nous devrions en ce cas l’illusion de la liberté est de toutes les dispositions possibles celle qui pouvait donner le plus d’intérêt à la vie humaine, et le plus grand développement à l’intelligence.

La différence entre ce monde fictif et le monde de notre expérience consiste toute, si nous nous plaçons dans l’hypothèse où le déterminisme universel serait la vérité, en ce que cette vérité recevrait une sorte de démenti par le fait : 1o de l’illusion du libre arbitre, inhérente aux idées et croyances pratiques des hommes ; 2o de la décision théorique en faveur de la réalité de ce libre arbitre, prise par un certain nombre de penseurs partout où la question a été sérieusement discutée. La nécessité dicterait donc à la fois le vrai et le faux par ce double fait, qui est son œuvre au même titre que l’affirmation du déterminisme en d’autres puissantes doctrines. On pourrait dire, si on la personnifiait, qu’elle donne également lieu de se plaindre à ses partisans et à ses adversaires. Mais cette contradiction de la nature, si l’on peut ainsi parler, n’est point pour le dogmatisme nécessitaire une preuve que l’ordre des choses n’est pas précisément cela ; d’un autre côté, un partisan de la liberté, s’il est logique, doit penser que l’affirmation de la nécessité, est elle-même un acte libre de son auteur, tout comme est un acte libre son affirmation propre en sens inverse, et mettre ainsi la nature hors de cause. La