Aller au contenu

Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
164
LA DERNIÈRE AVENTURE

prit un chemin très long ; de la Vieille place aux Veaux il passa par les ponts Marie et des Tournelles, la place Maubert, la rue Galande, celles Saint-Séverin, de la Boucherie, Saint-André, de la Comédie, des Quatre-Vents. « Nous serons plus longtemps en tête-à-tête, me disait Sara. — N’y serons-nous pas au spectacle, ma fille ? Je n’y verrai que toi. — Et moi donc, papa, mes yeux n’en chercheront pas d’autres que les tiens !… À propos, il faut que tu aies bien la confiance de Mylady Terreur, pour qu’elle me laisse aller avec toi ! Tu es le premier ! Par quel heureux accord nos sentiments, toujours si différents, se rencontrent-ils lorsqu’il s’agit de toi ! Elle t’estime autant que je t’aime, elle te confierait… tout puisqu’elle te confie ses espérances… — Son trésor. — Oui, son trésor… Je l’ai été du moins, ou si tu veux, j’en ai été l’occasion… Elle dit qu’elle a été belle femme, mais ses yeux de mégère ont toujours mis en fuite les ris, les grâces, les amours et les amants. — Les tiens sont si doux ! — Elle a eu tout mieux que moi, hors les yeux. — Hors les yeux ! Mais c’est tout, que les yeux, ma fille ! Ce sont les vitres de l’âme, on ne peut la voir parfaitement que par eux. Ah ! que les tiens indiquent une âme honnête, sensible ! — Mais je suis sensible à l’excès, mon bon ami. Ne mets jamais à l’épreuve cette sensibilité qui n’a fait encore que mon supplice ! Je serais plus affectée de ce qui viendrait de ta part que de tout ce qui m’est arrivé. — Si, je veux la mettre à l’épreuve, mais c’est en redoublant de tendresse, pour l’exciter davantage. — Comment veux-tu donc que je t’aime ? — Comme à présent, mais toujours ; tu m’as accoutumé au bonheur, je n’en pourrais souffrir la diminution. Je me charge du tien. »

Nous arrivâmes à cet instant. Il vint à côté de nous une très jolie femme avec son mari ou son amant. Elle avait les plus beaux cheveux cendrés, un sourcil noir, un bel œil, l’air distingué. Sara l’admirait et me la fit remarquer. « Elle est bien, lui répondis-je, très bien, mais vous l’emportez. » Cette femme s’aperçut de l’attention que lui donnait Sara ; elle en parut flattée, et l’occasion s’étant présentée de lui dire quelque chose,