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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/171

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

elle le fit d’un ton si obligeant, qu’il n’était pas possible de s’y refuser. Cependant Sara y répondit avec la plus grande froideur. J’en fus surpris, et dans l’entr’acte, je le témoignai. « Je ne veux m’occuper ici que de toi ; d’ailleurs, cette femme est charmante, et je suis naturellement jalouse. Si j’avais lié conversation, elle t’aurait parlé ; tu as trop de mérite pour ne pas la frapper, et si elle allait prendre les sentiments que j’ai pour toi !… » Je souris, en lui répondant : « C’est l’impossible ; mais les prit-elle, je n’adorerai jamais que Sara. » Elle s’empara de ma main à ce mot ; elle la pressa tendrement et ne la quitta plus. Elle contraignit jusqu’à ses regards, elle ne vit que moi. Cette conduite à l’égard d’un quarante-cinquenaire était aussi flatteuse qu’adroite ; elle augmentait le charme et resserrait les liens qui m’attachaient à ma jeune amie.

À son retour, Sara fut grondée par sa mère. Je compris qu’il ne serait plus possible de sortir seul avec elle ; j’éprouvai un sentiment de tristesse, le premier que ma passion m’eût encore occasionné. Au premier beau temps que la saison nous donna, nous fîmes, quoique avec la mère, des promenades charmantes. Sara me donnait le bras, et je ne sais où elle prenait toutes les choses agréables qu’elle me disait. Quelquefois on sortait avant moi, pour ne pas donner à parler dans le voisinage, et j’allais rejoindre. Un jeudi, on alla aux grands boulevards[1]. J’avais affaire jusqu’à sept heures, et on me dit que j’étais le maître de ne venir qu’à ce moment-là. Je me hâtai, et j’arrivai à six. La

  1. Les grands boulevards ou boulevards du Nord avaient été tracés en 1536 et en 1668 on commença à les planter d’arbres. « Les contre-allées, écrivait en 1783 un Almanach du voyageur a Paris, en sont sablées, et garnies de bancs de pierre de distance en distance. L’allée du milieu, pavée depuis peu, offre l’avantage de s’y promener en équipage. Son étendue de deux mille quatre cent toises fournit une superbe promenade, ouverte a tout le monde, et très fréquentée. MM. les Prévôts des Marchands et Echevins, à qui l’on est redevable des embellissements de cette promenade, ont soin de faire arroser cette allée du milieu pendant l’été.
    Le jeudi est le jour où le beau monde s’y rend de préférence.
    Ce boulevard est éclairé pendant la nuit par des réverbères. On y trouve toutes sortes de jeux et de spectacles qui contribuent à rendre cette promenade