Aller au contenu

Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
201
D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

plus tendre des filles peuvent contribuer à adoucir son sort, à égayer cette tristesse habituelle où je le vois plongé, il peut être sûr qu’il a trouvé une amie qui ne changera jamais. »


Avant d’exprimer l’effet que cette lecture fit sur moi, il faut observer, aujourd’hui que je suis moins rapidement entraîné, que le récit de Sara est fort abrégé, et qu’il n’est point d’accord en tout avec les discours de sa mère, qui racontait autrement la suite de ses voyages à la poursuite de son mari ; mais avec des circonstances si romanesques, que je suis tenté de croire que, à quelques adoucissements près, la vérité est du côté du récit de Sara. La mère dit avoir été à Constantinople ; ce qui n’est pas vraisemblable. Elle raconte ensuite des particularités de son séjour à Dijon, où elle était fêtée (dit-elle) chez l’Intendante. Elle assure qu’elle a vu, dans cette ville, à ses genoux, un homme de marque, et qui occupe aujourd’hui un poste très élevé[1]. Elle vint ensuite à Clamecy, petite ville du Nivernais, où un marquis soupira pour ses charmes. Il l’adorait, et la première fois qu’il entra chez elle, ce fut par la fenêtre ; il manqua de se tuer : sans doute, la compatissante Leeman fut attendrie par le danger qu’il avait couru. Elle ajoute que, lorsqu’elle partit, il avait résolu de se laisser mourir. Mais on m’a donné une version toute différente. On assure qu’elle fut détestée dans cette petite ville du Nivernais, parce que, étant jolie et coquette, elle troublait tous les ménages, en tournant la tête aux maris provinciaux, dans un pays où le sexe est en général assez laid. Quant au marquis, on me l’a nommé : loin d’avoir voulu se tuer au départ de cette femme, il ne parle d’elle que comme d’une misérable. De Clamecy, Mme Leeman vint à Auxerre, où elle se fit également détester, par toutes les mêmes causes inclusivement. Le mari de la dame chez qui elle séjourna la rencontra depuis à Paris, et il assura l’avoir vue raccrocher avec sa fille (Sara). Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que cette dernière qui, dans ces récits, ne ménageait

  1. Amelot, ministre de la maison du roi, et qui était, lorsque Mme Debée-Leeman le connut, intendant à Dijon.