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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/210

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LA DERNIÈRE AVENTURE

tout à la fois, qui savaient parfaitement ourdir une trame, mais qui n’avaient pas assez de constance pour la suivre jusqu’au bout… Que n’ai-je connu plus tôt cette fatale vérité ! Quoi ! l’innocence, la candeur peintes sur le front de la fille ; son air décent, honnête… (mais elle l’avait démenti, cet air honnête et décent) tout cela n’était que grimace et tromperie ? Environ dans le temps de la première rencontre avec de Lamontette, elle devint folle, impudente ; son badinage était celui d’une fille. J’en étais surpris, mais j’en riais, ne croyant pas qu’il fût possible, à moins que ce ne fût un badinage, qu’une jeune personne, auparavant si modeste, devint absolument impudente. Non, je ne fus pas trompé…

Je disais que Mme Debée-Leeman était partie vers les onze heures, pour prévenir (disait-elle) le retour de Lamontette, et que ce n’était qu’un voile qu’elle jetait sur sa turpitude.

À son retour auprès de sa fille, la mère de Sara lui fit part de mes alarmes (à ce qu’elle dit ; car j’ignore en quels termes elle s’exprima) : « Hé bien ! » répondit ma tendre fille, « je vais lui écrire. » La mère m’assura, quand je la revis, qu’elle la gronda. « Comment, mademoiselle ! cet homme se meurt, et vous « vous contenterez de lui écrire ! Non, non, il faut s’en retourner ! — Vous avez promis de rester jusqu’à dimanche ? », objecta la fille. « On m’excusera. » Malgré ma constante amie, il fallut revenir le soir même. C’était le vendredi.

Il était neuf heures : je ne les attendais pas encore ; sans quoi, à chaque carrosse, j’aurais volé à la fenêtre. J’étais assis auprès de la table, occupé à lire, à copier, en le trempant de mes larmes, le cahier où Sara avait écrit l’histoire de sa jeunesse. On frappe à ma porte. Je reconnais la manière de Sara : je tressaille, je me lève, je cours, je renverse tout ce qui s’oppose à mon passage. J’ouvre… Sara, cette fille que j’avais crue si tendre, si sensible, qui m’avait juré mille fois de me regarder à jamais comme son père et son ami, Sara me dit d’un air glacé, maussade, dur : « Hé bien ! qu’est-ce donc ? Me voilà ! — Qu’est-ce », répondis-je, après l’avoir néanmoins tendrement pressée contre le cœur