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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/211

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

qu’elle déchirait ; « Hé quoi ! ma fille ! vous partez a mon insu ! Vous ne revenez pas le soir ! Je n’ai pas de vos nouvelles ! Je sais ce que vous m’avez dit tant de fois ! Et vous paraissez surprise de mon inquiétude ? Me croyez-vous donc insensible ? Ha ! Sara ! vous ne connaissez pas encore le véritable attachement ! Chère Sara, trop jeune sans doute pour sentir comme moi, ton cœur ne s’est pas encore attendri à l’école de l’adversité ! » Ces mots parurent la toucher ; elle fit quelques efforts pour me paraître telle qu’avant son fatal voyage.

Toi, qui m’as rendu malheureux (s’il est vrai que j’aie été aimé !), peut-être un jour verras-tu cette histoire : je n’y ai dit que l’exacte vérité ; apprécie, d’après ce que tu as déjà lu, et ce que tu vas lire, celle que tu m’as ôtée ! Le voile est tombé pour moi ; je te l’arrache, si tu me lis : vois, vois, quelle était cette Sara, que nous avons aimée ! pour laquelle je t’ai abhorré, pour laquelle tu m’as haï ! La soif de ton sang a été dans mon cœur (Hélas ! quels remords n’aurais-je pas aujourd’hui, mon crime fût-il demeuré enseveli dans l’ombre éternelle !) À quoi t’aurais-je immolé ? À qui m’aurais-tu sacrifié, si ton adresse eut triomphé de la mienne ? O de Lamontette ! Je rougis de mon amour et de mes fureurs ! Rougis à ton tour de tes complaisances et des tourments cruels que tu m’as causés… Hélas ! à l’instant où tu liras cette histoire, le voile sera tombé, sans mon secours : Sara n’aima jamais ; la nouveauté, le changement lui donnent seuls l’apparence du sentiment qu’elle ne connaît pas !…

C’est ici où vont commencer les fureurs de la jalousie. Mon rival vint le lendemain au soir ; la mère m’en avait prévenu, en m’invitant à le voir, pour en dire mon sentiment. Mais, ce soir-là, je le vis trop peu. Sara se comporta bien ; elle ne marqua pas une aveugle préférence, et je me couchai tranquille… tranquille !… pour passer au lendemain, le jour le plus cruel de ma vie.

Je fus invité à dîner. La mère de Sara le donnait à son nouvel ami, chez qui elle avait passé trois jours. J’hésitai si je m’y trouverais : la jalousie m’en éloignait, et ce fut elle qui me fit accepter. Sara elle-même eut l’air de m’inviter ; elle me dit le