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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/212

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LA DERNIÈRE AVENTURE

matin : « Vous dinerez avec nous ? » Je crus au moins que c’était une invitation ; mais j’ai, depuis, eu lieu de croire que c’était une simple question, et qu’elle aurait désiré que je ne me trouvasse pas en présence de son nouveau choix. Je m’y trouvai cependant : j’étais poussé malgré moi. Ainsi, je vis de Lamontette auprès d’elle. J’en frémis. Je saluai d’un air troublé… Je me remis enfin, en jouant un domino. Nous dinâmes ; tout se passa décemment de la part de Sara ; mais la mère, en finissant le diner, se trahit ; « Qui dirait », s’écria-t-elle, « que nous ne connaissions pas monsieur il y a quinze jours ! « Nous allâmes après dîner au Jardin des Plantes. Ce fut là que la passionnée Sara (qui peut-être n’était qu’intéressée) montra les sentiments les plus affectés pour de Lamontette. Elle s’appuyait languissamment sur son bras : elle ne laissait tomber sur moi que le regard le plus froid et le plus dédaigneux. L’affreuse jalousie jeta dans mon sein tous ses serpents irrités ; j’en sentais les morsures brûlantes ! Tantôt mes larmes voulaient couler ; tantôt je m’excitais à cesser d’aimer une ingrate, et tantôt la fureur m’inspirait de noirs projets !… Que je fus malheureux !… Mais ce n’était rien encore !… Nous revînmes… C’était moi qui marchais avec la mère, cette femme abhorrée, pour qui j’avais le mépris mérité que sa fille m’avait si bien motivé !… mais sans lui donner le bras : j’eusse ressemblé à Florimond, conducteur ordinaire. Mon rival, content, enchanté, venait à pas lents derrière nous avec Sara, qui lui souriait d’un air d’intelligence. Malgré moi, mes regards reprochaient au ciel l’excès de mon tourment. La mère s’en aperçut, et cette femme, la dureté même, comme toutes ses pareilles, fit quitter à sa fille le bras de mon rival, en lui disant : « Une jeune personne n’a pas plus besoin que moi de s’appuyer sur un bras, et je m’en passe bien. » Le soir, Sara osa me dire que sa mère avait trouvé que j’étais de mauvaise humeur à la promenade !

Nous étions tous trois invités à dîner pour le lendemain par de Lamontette, à cette maison de campagne où les deux femmes avaient passé trois jours. Je la croyais à une distance assez