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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/218

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LA DERNIÈRE AVENTURE

Pendant ce long entretien, Mme Debée-Leeman était sur les épines ; sa conscience lui faisait deviner la matière de notre conversation, mais ce qui me surprit, c’est que Sara n’en était pas moins inquiète. Enfin nous nous rapprochâmes de la mère.

L’entretien avec mon rival m’avait donné quelque consolation ; sans réfléchir s’il m’avait dit vrai, je compris qu’il était impossible qu’il formât avec Sara une liaison durable ; je connaissais trop bien les vues de la mère, quoique je ne susse pas encore que celles de la fille étaient les mêmes. Ce fut d’après cette idée, que je regardai comme certaine, que je voulus éviter à ma naïve amie le désagrément d’avoir eu inutilement un homme de plus. Je lui fis entendre en deux mots le résultat de mon entretien avec Lamontette. Cependant, lorsqu’il s’agit de s’en retourner, comme on me l’avait promis, et que Lamontette proposa de coucher à sa petite maison, Sara, déjà instruite par moi, opina secrètement pour rester ; je la voyais tirer sa mère par la robe, afin qu’elle ne fit pas attention aux raisons que j’alléguais. En effet, quelle indécence que deux femmes qui n’étaient qu’à demi-lieue de chez elles, restassent dans un vide-bouteille de garçon, où il n’y avait qu’une chambre à coucher ! Certainement la mère de Sara ne l’eût pas fait pour elle-même ; et si, au lieu d’avertir la fille, j’eusse dit à la mère qu’elle n’avait rien à prétendre, je l’aurais vue la plus empressée à s’en retourner ; mais je ne le fis pas ; je n’étais plus à moi, le cœur égarait la tête. Ainsi, à mon grand étonnement, la mère et la fille restèrent à coucher, n’ayant pour trois qu’un petit lit dont on se partageait les matelas. Mais il fallait que Sara, devenue folle de Lamontette, mortifiât de toutes manières l’homme qu’elle avait séduit par un faux attachement, une fausse candeur. Ce qu’il y eut de plus douloureux et de plus humiliant pour moi, c’est que mon rival s’aperçut combien je souffrais, et qu’il m’offrit sa pitié. D’un air de propriétaire, lorsqu’il vint avec les deux femmes me reconduire jusqu’aux Boulevards, il me présenta la main de Sara : « Allons, puisque vous vous quittez, vous devez avoir quelque