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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/220

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LA DERNIÈRE AVENTURE

bras, et alla entre sa mère et Lamontette. La surprise me ferma la bouche ; je dis aussitôt adieu. Lamontette pria Sara de m’embrasser ; la mère dit : « Pourquoi donc ? » et je revins seul. J’étais amant, j’étais jaloux, et je laissais la fille que j’aimais avec mon rival, un rival préféré, qui avait pour lui le lieu, ses manières, une inclination naissante ! Ceux qui ont aimé avec violence, ceux qui ont été jaloux avec fureur, se formeront une idée de mon supplice !…

Arrivé chez moi, je sentis ce que la jalousie et l’amour outragé peuvent faire éprouver de plus violent. Je ne dormis pas, des songes effrayants troublaient quelques secondes de sommeil, et rouvraient avec effort mes paupières à peine appesanties. Le matin mon oppression fut si forte, que je crus en mourir ; je m’y résolus. Mes larmes coulèrent comme deux fontaines ; tout à mes yeux prit une teinte de douleur ; tout gémissait dans la nature, et se mettait à l’unisson de mon cœur. À tout moment, je descendais à la chambre de Sara ; je regardais, je touchais ses habits, je feuilletais ses chansons ; un mot pensé par elle que j’y trouvais, me paraissait un trésor… Cette cruelle journée s’écoula.

Le lendemain, je ne pus résister à l’envie d’aller voir Sara chez mon rival. Je la trouvai plus froide pour moi, plus indifférente que jamais ; elle l’était jusqu’à l’impolitesse. J’en fus pénétré ! Déjà souffrant et malade, je ne pus retentir mes plaintes, je montrai toute douleur à mon rival et, me découvrant moi-même à la haine qu’il devait avoir pour moi, je lui donnai occasion d’un triomphe complet. Je sentis que je le rendais trop heureux en me plaignant comme je le faisais. Je lui montrai une des lettres de Sara[1]. Lamontette fut surpris de la trouver si tendre, si décisive en ma faveur, et je jouis un instant du tourment qu’il me faisait souffrir ; il l’éprouva lui-même. Faible soulagement ! Lamontette sentit bientôt qu’il était ce que j’avais été,

  1. La quatrième, rapportée plus haut : Serait-il possible qu’ayant été malheureuse, » etc.
    (R.)