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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/221

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

qu’il possédait le cœur dont la perte me mettait au désespoir !… Je le vis, et mes regrets s’en accrurent.

Le papier que je venais de montrer donna la plus vive inquiétude à l’ingrate ; elle se douta que c’était une de ses lettres ; je le vis aux regards qu’elle lançait sur moi.

Je n’ai de ma vie éprouvé un trouble aussi cruel ! j’étais en proie à la jalousie, à la fureur, à l’indignation. Toutes ces passions s’entrechoquaient dans mon cœur déchiré, mais Sara m’était encore trop chère, pour que ma haine refluât sur elle ! c’était sa mère que j’abhorrais. Dans un moment où je parlais d’elle à mon rival, je m’enflammai par les plaintes que j’en faisais et, dans la violence de mes mouvements, j’agitais ma canne, (j’ai su depuis, que Lamontette, qui voulait me détruire dans l’esprit de Sara et, auquel j’en donnais tous les moyens, dit à la fille d’abord, ensuite à la mère que je les avais menacées de coups de canne. Je ne le crois pas, quoique je fusse dans le délire.) Ce rapport que leur fit Lamontette était aussi imprudent que mes confidences, eu égard à ce qu’étaient ces deux femmes. Au lieu de les déchaîner contre moi, elles agirent comme leurs pareilles, elles me craignirent et Sara comprit du moins qu’il fallait changer avec plus d’adresse. Prêt à quitter Sara (que mon rival eut la bonté d’engager à me reconduire seule) et, me voyant observé, je la priai de m’accorder douze pas au dehors, pour lui dire un mot que personne ne put entendre, et elle eut la dureté de me refuser. J’avais tout prêt un effet de douze cents livres pour les douze pas qu’elle eut fait sans doute si elle avait su ma pensée. Je m’éloignai de l’ingrate, la mort dans le cœur.

J’allai diner en ville, chez mon ami Guillebert[1], que je consultai sur ma situation, j’étouffais. Il me donna ses conseils. Le soir, je trouvai la mère de Sara, mais seule. Elle avait de l’inquiétude à mon sujet ; et sans doute elle était venue de concert avec sa fille, ou d’elle-même. Sa vue me blessa. Je lui parlai ce-

  1. Ce médecin Guillebert de Préval, dont Restif parle souvent dans ses œuvres.