Aller au contenu

Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/229

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
223
D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

Sara ; oui, mademoiselle, vous avez raison. Vous auriez été une exception pour moi ; je ne la mérite pas ; je dois être malheureux, et vous devez y contribuer… Adieu ! »

Je me retirai. La mère me retint, et faisant le bon soldat, elle donna tort à sa fille. Mon cœur était si faible pour cette dernière, que je sentis que je l’adorais, en éprouvant le plus profond mépris. Je m’émerveillai de ce sentiment inexprimable ; s’il est possible de sentir de la surprise dans le désespoir ! Mme Debée-Leeman parla mal de mon rival dit que j’étais préférable, traita d’indécente la conduite de sa fille avec lui en ma présence : enfin cette femme si emportée, qui faisait trembler tout le monde, douce avec moi, ne cherchait qu’à me calmer. Elle n’y réussit pas ; j’étais blessé au cœur.

J’avais compté sur le retour de Sara pour adoucir ma douleur ; mais j’eus une plus mauvaise nuit que si elle n’était pas revenue.

Sur le matin, à l’heure où j’étais sûr que Sara serait chez elle, je désirai d’avoir un entretien. Je frappai légèrement sur le plancher, sans espérance qu’elle daignât me répondre. Ce fut avec une surprise mêlée de quelque joie, que j’entendis les neufs coups vivement frappés, qui étaient pour me parler : je descendis. « Un moment d’entretien, lui dis-je, mademoiselle, le permettez-vous ? » Elle me fit signe d’entrer. Nous nous assîmes. Fût-ce des reproches que je lui fis ? non, je lui exposai mes vues à son égard : elles étaient fondées sur l’attachement le plus sincère, et sur le désir le plus ardent de lui être utile. Elle en fut frappée : même en se rendant aux raisons que je lui exposais, son âme restait froide, quoique son esprit parût convaincu. Nous demeurâmes d’accord sur la conduite à tenir ensemble, sans qu’elle eût changé une seule de ses dispositions à l’égard de mon rival : je le vis ; non, je ne fus pas aveugle au point de ne pas le voir, et j’eus la faiblesse de ne pouvoir prendre assez de ressentiment pour me dégager ; je vis Sara s’avilir jusqu’à souffrir les sentiments d’un homme qu’elle n’aimait plus ; à les souffrir, tandis qu’elle en aimait un autre, et je n’eus pas le courage,