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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/230

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LA DERNIÈRE AVENTURE

je n’eus pas la délicatesse de briser ma chaîne ! Je m’amusai, en véritable enfant, à lutter contre mon rival par les petits moyens. Insensé ! Ton plus grand ennemi, c’était Sara ! C’était elle qu’il fallait arracher de ton cœur pusillanime !… Je réalisai, dès le même jour, mes arrangements avec cette dangereuse créature. Je dînai ensuite avec elle et sa mère ; je m’attendris à table, en me rappelant quelques-uns de mes anciens malheurs, que les nouveaux me rendaient mille fois plus sensibles, et je vis des larmes couler des yeux de celle qui causait ma peine la plus cruelle !… J’essayai de profiter de son attendrissement pour voir s’il était possible de regagner son cœur ! Mais je découvris dans son air ce froid de l’indifférence, qui annonce que le cœur ne sent plus rien. Un sentiment nouveau m’affecta en ce moment : « Elle est indifférente, pensais-je ; mais quand elle était si vivement empressée, quand le ravissement était peint dans ses regards, elle m’aimait donc !… J’ai été aimé, je l’ai été à quarante-cinq ans !… Hé ! que ne dois-je pas à celle qui m’a tiré du nombre des morts, où j’étais, pour me rappeler à la vie, à la jeunesse, à l’amour, à la jouissance !… » Cette réflexion remplit mon cœur d’une tendresse inexprimable pour Sara ; j’y sentis un élan de générosité ; je fus prêt à lui dire : « Hé bien ! s’il le faut pour ton bonheur, aime Lamontette, sois-en aimée ; mais conserve-moi ton amitié… » Oui, je fus prêt à tenir ce langage. Mais je me rappelai en ce moment combien j’étais peu capable de souffrir le partage du cœur de Sara. Cependant, lorsque je la quittai, je me trouvai plus tranquille que je ne l’eusse été depuis ce que j’appelais mon malheur ; je me sentis la tête plus libre, et je fus capable de travailler.

À l’heure du souper, elle me frappa comme dans mes heureux jours. J’accourus avec un sentiment de joie que je ne connaissais plus depuis son infidélité. « Chère amie, lui dis-je en entrant, quelle vertu ont donc cette baguette et ce bruit que je viens d’entendre ? Ce n’était qu’un son ; mais je voyais ta belle main qui faisait agir la baguette ; ce son, insignifiant par lui-même, était l’expression de ta volonté. Ha ! Sara, vous êtes pour moi l’âme