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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/231

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

et le charme de la nature ! » Elle sourit, d’une manière charmante ; mais un soupir suivit ce sourire. Je me jetai sur sa main. « Tu es avec ton père, ton ami. — Malgré ce que vous m’avez dit !… Non, non, je suis fausse. — J’ai trop d’intérêt à te croire vraie, pour m’y refuser ! Ma chère Sara ! dis-moi, non que tu m’aimes… (ici deux larmes s’échappèrent de mes yeux, et Sara pleura), mais que tu m’as aimé ! Je borne là toutes mes prétentions aujourd’hui. — Je l’ai cru, me répondit-elle. »

Nous nous mîmes à table ; mon pied chercha, comme autrefois, à se poser sous le sien ; elle s’y prêta… Que je l’aimais en ce moment !… Je voyais l’instant où elle allait me rendre son cœur : « Peut-être, pensai-je, est-elle mécontente de mon rival ! Peut-être s’est-il montré sous un jour qui lui déplait ! Quel bonheur, si elle me rendait sa confiance !… » Je me mis à ses genoux après souper (triste rôle pour un père ! ridicule pour un homme de mon âge) ! Ce fut alors qu’elle m’avoua qu’elle avait été furieuse contre moi la nuit précédente. « Je ne saurais exprimer quelle a été mon agitation, ajouta-t-elle ; un père, un ami, m’avoir traitée de la sorte ! Quand j’aurais tort, n’ai-je donc aucun droit à l’indulgence ? » Elle pleura. Je tâchai de la calmer, en démentant toutes les vérités que je lui avais dites. (Hélas ! ma bouche ne pouvait plus être d’accord avec mon cœur, depuis que je n’estimais plus, quoique j’aimasse encore !)

Je ne sais comment cela se fit ; mais il me vint alors une idée, d’obtenir de Sara la plus grande faveur, celle à laquelle je n’étais pas encore parvenu. Je voyais qu’elle m’échappait ; je voulus la retenir par une sorte de considération extérieure ; peut-être voulais-je voir si elle ferait une infidélité de cette espèce à mon rival. Elle refusa, mais faiblement. Je la pressai, je la tourmentai, j’employai toutes les instances, tous les moyens… Enfin, je n’espérais plus, lorsque je m’avisai de lui dire que si elle m’accordait cette faveur, ce serait une assurance de notre union future. Elle parut hésiter, et soit un reste d’attachement, ou de honte de me refuser, ou bien un effet de sa facilité naturelle, j’eus la surprise de la voir consentir, après son changement, à ce