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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/242

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LA DERNIÈRE AVENTURE

écrire, m’avait-elle répondu ; je ne l’ai jamais aimé. Moi, aimer un jeune homme ! » (En effet, cela aurait été contre nature.) « Je n’aime que des hommes mûris par l’âge, devenus sûrs par l’expérience… » Et je le crus, pauvre insensé ! je le crus ! À quoi nous servent donc l’âge et la raison ! Enfin je le vois aujourd’hui, mais trop tard, Sara, était la finesse même, plus fine que sa mère, qui l’est beaucoup ! Lorsque je la croyais naïve, sincère, elle n’était que rusée. Toutes deux voyant un homme isolé, elles jetèrent un dévolu sur sa dépouille ; la fille ne fut pas farouche ; elle employa les agaceries les plus efficaces ; elle abusa de la modestie que le ciel a mise sur son visage : plus dangereuse mille fois que sa mère, elle cachait le vice sous la physionomie noble et imposante de la vertu… Tremble, ingrate ! je puis te perdre d’un mot ! Tremble que je ne tire le voile, et que je ne montre aux yeux de mon rival la hideuse, l’horrible vérité !… Tu as menti l’amour, je m’en doutais : depuis que tu le préfères, tu… lui as été infidèle !… O perfide ! et je ne te hais pas encore !… Mais je ne t’estime plus ; mon amour n’a plus de base ; il va s’anéantir… (Et j’étais encore ici un insensé ! Je devais aimer Sara !…) Je reviens à Delarbre.

L’impression qu’il avait faite sur la perfide était profonde ; on l’a vu par ses lettres. Mais, outre qu’elle lui avait tout accordé, je trouvai des preuves de sa passion au bas de quelques chansons, où l’infidèle, encore sensible pour ce jeune homme, exprimait ses regrets : « Séparation cruelle, le… Juin 1779. » Ailleurs : « Il n’est plus ici, ce cher amant ! » Mille fois je l’avais entendue chanter, attendrie, sur sa guitare, la romance : O ma tendre Musette ! qu’elle tenait de cet amant qu’elle n’avait jamais aimé !… Tourmenté par la douleur qu’elle me causait ; j’ai cherché à me guérir, à m’éclairer : j’ai eu des lumières… cruelles ! Quelle jeunesse ! L’inconséquence, l’étourderie, la corruption… Dieu tout-puissant ! mon amie, ma tendre et vertueuse amie d’il y a un mois, serait-elle un monstre ? Non, je ne veux pas achever de m’éclairer… Mère barbare, ne me décrie plus ta fille ! Monstres qui m’environnez, ne me montrez plus la fatale