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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/249

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

passa devant nous la jolie personne qui fait un si beau rôle dans la Philosophie des Maris[1] (Mlle Victoire Londeau) ; elle fut la Muse qui inspira l’auteur. Je soupirai, en pensant : « Fille aussi belle que Sara, mais plus honnête ! Ha ! Si je vous avais connue au lieu d’elle !… » Cette idée répandit un nuage sur ma physionomie. Sara s’en aperçut, et me dit bonnement : « Qu’as-tu, l’ami ? » Ce mot, le son d’une voix agréable et chérie me rendit à la Sirène. Nous partîmes.

En route, je tenais la main de Sara. Elle me l’abandonnait… elle me l’abandonnait, mais elle ne me la donnait pas… Cependant je me faisais illusion : je riais avec elle, je causais ; je faisais des remarques sur les villages répandus dans la plaine, à qui je donnais le nom des principales villes de nos provinces. Sara paraissait contente. À notre arrivée, je la vis empressée à faire charger les malles. Bon, sans défiance, je n’y entendais pas finesse ; mais il était de l’intérêt de Mme Debée d’empoisonner tous mes plaisirs. Je fis servir un rafraîchissement ; Sara prit un air couvert. Cela me surprit ! elle aime la pâtisserie. Rien n’était bon ; elle rebutait tout ; elle demandait à… partir. « Vous ne voyez pas », me dit tout bas la mère, qu’elle attend de Lamontette ce soir ? Mais il ne tiendra qu’à vous qu’elle ne le voie pas : amusons-nous ; nous allons voir le trésor et les environs de Saint-Denis. — Non, madame, répondis-je, mon âme est trop généreuse pour jouir de sa peine. Partons, allons-nous-en, et qu’elle le voie. » Mme Debée me regarda d’un air de persiflage et de compassion : « Pauvre homme ! vous conduiriez une jeune fille, vous, ha ! Elles vous mèneront par le bec, et se moqueront de vous. Combien de Lamontette ne s’est-il pas amusé sur votre compte, lorsqu’en arrivant chez lui, nous lui disions que vous nous aviez pressées de partir ! Il en faisait des gorges chaudes !…

  1. La Philosophie des Maris, conte intercalé dans le Nouvel Abeilard ou Lettre de Deux Amants qui ne se sont jamais vus, 1778

    Sur Victoire Londeau, fille d’une charcutière, et que Restif trouve incomparable comme la plupart des femmes qu’il a aimées, Voir Monsieur Nicolas, t. III, p. 206.