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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/267

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

j’allai me placer à la jonction des deux chemins qui conduisent au vide-bouteille de Lamontette. Là, je m’assis et je les attendis constamment, croyant qu’elles ne manqueraient pas de venir. Mais Sara m’avait aperçu de loin allant devant elles, et ce fut la raison pour laquelle on ne vint pas à la maison de campagne d’étiquette de M. Noiraud de Lamontette. Je m’étais proposé, en les voyant, de me lever, d’aller au-devant d’elles et de leur dire que j’avais deux pistolets, et que si elles entraient chez mon rival, j’allais le forcer à se battre avec moi en leur présence. Qu’on s’imagine la scène qui se préparait ! car je m’étais armé ; je n’avais pas fait de ces folies dans ma jeunesse, et je m’en avise à quarante-cinq ans ! Car je ne citerai pas mon combat avec Tourangeot[1], ni même un autre, rue Honoré, vis-à-vis l’Oratoire, en plein jour ; arrêté sur une porte, je regardai avec trop d’admiration une jolie femme qui passait, donnant le bras à son mari. Mais ce ne fut pas lui qui le trouva mauvais ; ce fut le frère de la dame, qui la suivait ; il me donna un coup sur le bras. Aussitôt mon épée brille en l’air : « Défends-toi ou je te perce ! — Mon frère ! vous avez tort ! dit la jeune dame. — Oui, très tort ! ajouta le mari. — Monsieur ! reprit la jeune dame en me regardant. — Je vous obéis, m’écriai-je. » Et je rengainai… Je reviens.

Heureusement les deux femmes m’épargnèrent le désagrément que mon imprudence allait me causer. Au bout de plus d’une heure, je me lassai de rester là en sentinelle ; je gagnai le café Caussin, et, sans me montrer, je vis les dames. Elles étaient seules. Mais à cinq heures, Lamontette, qui les avaient attendues en vain, arriva, et courut à elles. Il y eut sans doute une explication, où je ne fus pas ménagé. Il fit l’agréable et n’excita que ma pitié ! (La veille ou le lendemain il m’aurait fait envie !) Je revins chez moi dans une résolution singulière ; ce fut d’attendre jusqu’au lendemain 9 octobre et d’aller les joindre, lorsque

  1. Restif parle longuement dans Monsieur Nicolas, de ce Tourangeot, ancien domestique, et plus tard ouvrier typographe à Auxerre, où il le connut.