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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/268

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LA DERNIÈRE AVENTURE

mon rival serait avec elles, soit chez lui, soit au café. Je n’étais pas trop arrêté sur la conduite que je tiendrais ; mais j’espérais qu’il arriverait quelque chose, ou qui me guérirait de ma folle passion, ou qui éloignerait Lamontette, si on me donnait sur lui une préférence que je n’espérais plus.

En conséquence, le soir, je n’allai pas souper avec Sara ; je me sentais trop ému, et je craignais de ne pouvoir me contraindre. Mais le lendemain, je fus plus fort et je pus dissimuler.

Le mardi, on partit pour le Boulevard. Je suivis de vue les deux femmes dangereuses, dont l’une excitait dans mon cœur encore quelque intérêt parce que je ne la croyais pas une misérable consommée comme sa mère ; je lui supposais de l’inconsidération, de la mollesse, mais non une finesse qui ne cadrait pas avec la naïveté que je lui croyais naturelle. Lamontette les avait précédées, il les reçut. Lorsqu’elles furent arrangées, j’entrai d’un air ouvert, riant même ; je les saluai, et je m’assis à côté de la fille. Lamontette me regarda noir, se leva, fit aux dames une demi-inclination et se retira. Je restai ferme et jurant entre mes dents contre Sara, qui paraissait dans une situation infiniment pénible. Mon rival fut plus de deux heures absent, allant de côté et d’autre, saluant ses connaissances, et il finit par s’asseoir à une autre table. Je fus très surpris de sa conduite ! J’entrevis la noirceur de la mère, peut-être de Sara elle-mêmes qui était encore plus intéressée à ce que Lamontette et moi ne nous parlassions jamais. J’étais venu au Boulevard non seulement pour le motif que j’ai dit, mais encore pour un autre. Sara, dans la semaine précédente, m’avait avoué que sa mère avait parlé contre Lamontette, et qu’elle m’avait mis sur le compte les propos qu’elle-même avait tenus. Je sais que les ennemis ne sont bons à rien. En conséquence, outre mille autres choses que j’avais à dire, je désirais une explication avec Lamontette, sans lui avouer par qui j’étais instruit, mais tous mes projets furent renversés par la conduite qu’il tenait à mon égard. Il revint enfin auprès de Sara, à laquelle, durant son absence, j’avais adressé environ quatre fois la parole, et qui ne m’avait répondu que par