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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/269

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

monosyllabes ; elle lui sourit, lui parla en riant. J’étais furieux : Vous parlez donc enfin, et vous souriez ! lui dis-je à demi bas, au lieu de mourir de honte. » En parlant ainsi, je brisais ce que je tenais entre mes doigts. Sara ne répondit rien, mais sa mère s’aperçut de ma fureur, elle en fut émue et elle parla plusieurs fois à l’oreille de son Florimond. Quelqu’un en voiture qui passait en ce moment sur le Boulevard, ayant demandé Lamontette, il y courut. La mère profita de cet intervalle pour se lever et sortir. Sans doute elle craignait, entre Lamontette et moi, une scène qui n’aurait pas manqué de la compromettre, avec la réputation qu’elle a ! Je les ramenai. Sara prit le devant, et fit mettre Florimond à côté d’elle. J’affectai de parler gaiement à la mère et à notre retour, je soupai avec la fille sans lui dire un seul mot de mes motifs, non par prudence, mais par faiblesse.

Une autre scène m’attendait le lendemain. Mais avant de la rapporter, il faut rendre compte d’une visite que je fis à Lamontette, pour lui demander les motifs de sa conduite à mon égard la veille. On sait que j’étais instruit par la fille des discours de sa mère à mon rival. Ainsi mon début avec lui fut une dénégation de certains propos injurieux qu’on avait mis dans ma bouche à son égard. En effet, ce n’avait jamais été que d’après les discours de la mère, sur le pouvoir secret de mon rival, sur ces connaissances prétendues en gens plus que dangereux, que j’avais répondu à cette femme : « Mais, madame, si c’est un homme comme vous le dites, d’où vient que vous lui avez mené, laissé votre fille ? D’où vient que vous l’y conduisez encore ? » Elle me répondait, en jouant l’effroi : « Ha ! monsieur ! je serais une femme perdue. — Comment perdue ! — Oui ! vous lui avez fait de moi un si beau portrait ! Ha ! Monsieur Nicolas ! Je ne vous le pardonnerai jamais !… à moins que vous ne disiez tout le contraire. » Je l’avais refusé nettement, sans qu’elle eût osé s’en fâcher. On voit que, d’après cela, je jouais auprès de Lamontette le rôle d’un homme qui se justifie, mais de la manière la plus avantageuse. Je voulais d’abord ne pas inculper la mère de Sara. Mais insensiblement, je me trouvai engagé à le faire, tant