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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/69

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LES DEUX CINQUANTENAIRES

son amant. « Tout ce que vous me dites est d’accord avec mes sentiments, lui répondit-elle. Ah ! que n’êtes-vous l’homme que vous m’avez proposé ! — Vous voyez mes entraves, lui dit Parlis avec attendrissement, vous et moi, mademoiselle, nous sommes soumis à l’impérieuse loi de la nécessité. M. de Blemont est libre ; peut-être ce qui vous choque en lui est-il l’effet d’une manière de voir qui ne nous est pas assez connue ? Nous en jugerons mieux après l’entretien de demain. »

On s’en tint à ce parti. Mais Parlis gagnait à ce manège tout ce que perdait M. de Blémont. C’était le premier qui avait la confiance, à qui l’on demandait des conseils ; dont les avis dirigeaient, et toutes ces choses sont aussi essentielles au bonheur d’un mari, que la fidélité conjugale ; la femme qui en prive sans cause un époux qui les mérite, est déjà une adultère ; elle lui ôte une propriété flatteuse et la plus importante peut-être.

La visite attendue avec une égale impatience par trois personnes, car Parlis avait la sienne, eut lieu dès le matin. M. de Blémont accourait à un plaisir assuré, d’après l’idée qu’il s’était tacitement formée d’Élise. Mais dès l’abord, il eut lieu de rabattre les espérances qu’il avait si follement conçues. La jeune personne, éclairée à demi par les conseils de Parlis, en apercevait assez pour se tenir sur ses gardes. Elle reçut M. de Blémont avec une froideur glaçante. Il ne se déconcerta pas et n’en demanda même qu’avec plus d’empressement l’entretien particulier, qu’on lui accorda enfin. Dès son début, sans examiner à qui son discours s’adressait, il employa ces expressions sensuelles qui feraient fuir l’amour s’il était né, mais qui révoltent mille fois davantage une jeune fille, lorsqu’elles sortent de la bouche d’un homme mûr. Élise sentit qu’il n’y avait plus de péril pour elle ; son parti fut pris dès ce moment et, comme elle était sensée, elle comprit tout d’un coup néanmoins, que ce qui était révoltant dans un amant, pouvait être fort supportable dans un mari. Elle arrangea les réponses en conséquence et, sans faire à M. de Blémont des reproches qu’il n’aurait pas sentis d’après les idées sur les femmes, elle le tint sur la réserve sans se fâcher. Elle entendit