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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/70

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LA DERNIÈRE AVENTURE

du mariage ce qu’il entendait des faveurs : elle parut flattée du premier et lorsque M. de Blémont voulut en venir aux secondes, elle ne mit aucune dureté dans sa défense. Ce fut alors que cet homme, cru digne d’estime auparavant par un ami vertueux, exposa nettement son projet. Il déclara sans détour qu’il voulait des faveurs avant le mariage, pour se prouver à lui-même, qu’on le prenait sans répugnance et qu’il serait aimé. Soit qu’Élise n’entendit pas sa demande dans toute son étendue, soit qu’elle voulut encore le ménager dans l’espoir d’un établissement honnête, elle laissa prendre un baiser. M. de Blémont, en véritable écolier, mais un million de fois moins excusable, crut qu’il tournait la tête à une fille de dix-huit ans, qu’il venait d’émouvoir ses sens, ce qui est beaucoup plus difficile pour un homme de son âge que de toucher le cœur ; il hasarda une liberté insultante. Élise ne put alors se tromper à son but ; elle le repoussa et lui fit des reproches de sa témérité. « Sans cela, ma belle, il n’y a rien à faire entre nous, je risquerais trop à mon âge. — Il est vrai, monsieur, que si vous vous proposez de ne jamais employer avec moi des moyens honnêtes, il est inutile d’y penser. Êtes-vous donc incapable d’un bon procédé ? — Comment ! mademoiselle ? — Quoi ! vous ne savez pas vous faire estimer ; exciter la confiance de celle dont vous vouliez faire votre compagne ?… Allez, monsieur, s’il en est ainsi, votre bonheur est impossible et c’est une folie à moi d’entreprendre de le faire ; j’y renonce. Quel homme vous êtes ! Je ne vous aurais jamais parlé de votre âge, parce qu’il n’est pas un défaut à mes yeux ; mais votre conduite m’oblige à vous dire que pour un homme de votre âge, elle est celle d’un fou ? — Voilà d’étranges douceurs, ma belle ! — Elles répondent à vos procédés. Quelle différence de M. Parlis à vous ! Il ne sera jamais vieux, parce qu’il n’aura jamais les prétentions d’un jeune homme. Encore un jeune homme se ferait-il détester, en employant vos moyens. Vous me découvrez la raison du mépris que m’inspira l’amour de Mithridate, lorsque je vis la tragédie de Racine ; le vieux roi s’exprimait comme vous, et si Racine ne l’avait pas rendu ridicule exprès dans cette occasion,