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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/175

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pourra s’opposera mon choix duodécuple[1]. Voilà quelles étaient les bases de mon poème. Mais le choix des filles ne fut pas une petite affaire pour moi ! Je le commençais toujours par Jeannette ; mais dés que je l’avais supposée choisie, mon imagination ne me disait plus rien pour une autre ; la belle Rousseau, plus parfaite, m’absorbait tout entier. J’avais beau appeler à mon secours ma résolution et mon plan, et me dire qu’il exigeait que je choisisse douze filles, qui seraient mes maîtresses un mois par an, je m’arrêtais à Jeannette, et son mois durait toute l’année. Je me dépitais de ne pouvoir avancer mon ouvrage ; je sentais que, si je faisais le premier chant, que je ne nommais pas encore ainsi faute d’avoir vu un poème[2], mais division, j’y dirais tout, et n’aurais plus rien pour les

  1. Tous les paysans avaient la même fausse idée de la toute puissance de la Divinité, pour les choses physiques même impossibles, et de celle du Roi, pour les choses morales. Par exemple je ne doutais nullement que le Roi ne pût légalement obliger tout homme à me donner sa femme ou sa fille, et tout Sacy pensait comme moi. C’est encore l’opinion de tous les peuples orientaux.
  2. J’avais cependant mon Virgile : mais je n’en étais qu’aux Eglogues, et je ne tenais ce livre qu’au moment de l’étudier, parce que la difficulté de l’entendre m’ôtait le plaisir que j’aurais eu à le lire. Croirait-on que, moi, berger, je n’aimais pas les Eglogues ? Les idées champêtres de Virgile ne me paraissaient pas assez naturelles ; c’étaient celles d’un Parisien de Rome. C’est ainsi que, depuis, je n’ai pu goûter les bergers de l’Opéra : c’étaient ceux de l’Astrée ; ni les paysans du Théâtre-Italien, à l’exception des deux pères, dans Rose et Colas.