Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/193

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pour que tu en disposes un jour. Avertis-moi, quand tu t’apercevras que, malgré mon attention, mon état commence à paraître Et quittons-nous : si les murs ont des oreilles, les haies sont encore moins sourdes. » J’étais dans une situation orageuse, tandis que Marguerite m’avait parlé ; mes idées se roulaient et se précipitaient, comme des cailloux agités dans un tonneau. Le plaisir d’être père à mon âge (hé ! je l’étais déjà, depuis le 14 Mai 1746 ; mais je l’ignorais !) la générosité de Marguerite, l’image de Jeannette qui se mêlait à tout cela ; mes craintes, si la gouvernante avait ressemblé à toute autre femme ; le bonheur que j’avais de trouver, dans ces commencements de ma vie, des êtres si bons, pour contrebalancer la haine de mes frères, et ma propre malice (hélas ! ils m’ont inspiré de la sécurité ! oui, la bonté de mon père, de ma mère, de ma bonne tante Madelon, de mon aïeul Ferlet, de Julie Barbier, de Jeannette, de mère Saint-Augustin, d’Esther, de madame Bossu, de Marguerite enfin, sans parler de celles qui ont suivi, m’ont inspiré la sécurité que j’ai payée si cher par la suite ! ) tout cela, dis-je, me passait dans la tête, et m’occupait, à me rendre immobile. À l’épanouissement momentané, succédait le serrement de cœur le plus cruel, et dont le souvenir m’est encore douloureux. J’embrassai Marguerite sans parler, les yeux en larmes ; elle y répondit par les siennes… J’allai seul visiter la haie, tandis que la gouvernante parut s’en retourner.