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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/194

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1749 — MONSIEUR NICOLAS

Bon Dieu ! quelle journée, et comme elle avait été remplie ! Elle contenait plus de choses que dix années de la vie des jeunes gens de mon âge… Mais j’en ai souvent eues de pareilles : je n’ai pas vécu à vide, ô mon lecteur ! tous mes jours ont été remplis…

Comme je m’en revenais du champ de la cure, par le bas, où était le chemin de la Garenne (promenade charmante, si le pédantisme de mes frères ne l’eût gâtée pour moi !) je rencontrai Jeannette seule. Je tremblai, je rougis ; je la saluai gauchement, en détournant la vue… Mon trouble dut sans doute l’éclairer sur la passion secrète qu’elle m’inspirait ; mais j’étais trop jeune pour qu’elle pût compter sur ma solidité. Je m’aperçus que ma rougeur la faisait rougir à son tour ; j’en tressaillis… Avant d’entrer dans le bourg, je retournai la tête, et j’aperçus Marguerite, que je croyais rentrée au presbytère, qui parlait a Mlle Rousseau, avec grande vivacité, en me montrant (je n’ai jamais su ce qu’elle lui avait dit). Je palpitai ; la sueur sortit de tous mes pores, à cette idée : « Lui dit-elle que je l’aime ? … » Et je m’enfuis, comme s’il y avait eu quelque danger à craindre pour moi… (En me voyant fuir, par une timide modestie, celle que j’adorais, qui se fût imaginé que je venais de faire, sur elle et sur d’autres, plus de cent pages de vers obscènes ? Après cela, jugez des hommes par ce qui frappe les yeux). Marguerite rentra plus d’un quart d’heure après moi. La prière sonna ; j’y regardai