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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/205

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qu’elle parlait ou celui de recevoir la réponse auraient pu me causer la mort… Ajoutez à cela une délicatesse machinale qui me faisait regarder comme effrontée toute demande que je ne méritais pas d’obtenir. J’ai observé, dans tout le cours de ma vie, que mon instinct m’avait toujours mieux conduit que ma raison. J’écrivis donc. J’avais remarqué, en m’agenouillant à la place de Jeannette, lorsque j’allais sonner midi, qu’il y avait à son accoudoir un petit trou rond ; je roulai mon billet comme un de ces petits cierges qu’on brûle ordinairement devant les Madones, et je l’insérai dans le petit trou que je fermai d’un peu de cire. Je l’y laissai quinze jours. On ne l’aperçut pas. J’avais compté sur la cire qui, se collant au bras de Jeannette, aurait fixé son attention sur le papier attiré. (Et peut-être le découvrit-elle, le lut-elle, et le remit-elle ; car un jour, en prenant de l’eau bénite, ayant osé porter un regard sur elle, je vis les lis de son visage changés en une belle rose, mais je n’en ai jamais eu de certitude). Une crainte trop bien fondée me fit reprendre mon billet amoureux : c’est qu’un jour, à midi, je me rappelai les derniers avis de Marguerite. Je déchirai en petits morceaux le papier qui contenait l’expression de mes sentiments ; et telle était la superstition de mon amour extrême, que je me sentis flatté de l’idée que Jeannette s’agenouillerait sur les débris de mes pensées ; j’eus grand soin, le lendemain, en allant servir la messe, de m’assurer qu’ils étaient sous les pieds et les genoux de Celle que j’adorais. Je les ramassai