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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/206

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1749 — MONSIEUR NICOLAS

à midi pour les conserver précieusement et, de peur qu’ils ne fussent aperçus du curé ou de l’abbé Thomas. Malheureusement cet accès de prudence ne s’étendit pas assez loin.

Je connaissais les dispositions de ceux dont je dépendais : j’étais sûr qu’ils désapprouveraient également un amour légitime et une passion criminelle ; je n’y mis donc moi-même aucune différence. Je cachais soigneusement mon poème licencieux, mais je le relisais avec plaisir, et j’y corrigeais souvent quelque chose. Le départ de Marguerite m’avait laissé dans une tendre mélancolie, très propre à la composition : je voulus rimer nos adieux et les ajouter à mon poème, quoiqu’ils n’y cadrassent guère ; j’eus même l’audace d’y travailler à ma table, aux instants où l’abbé Thomas jouait puérilement avec Sœur Pinon, qu’Huet tâchait de s’y mêler et que Melin se moquait d’eux ; je ne prenais d’autres précautions que de mettre mes vers sous le cahier de mes versions. Un jour Melin, qui était méchant et traître, aperçut le titre de ma seconde Division, qui était Marianne Taboué : il lâcha un mot qui me rendit circonspect ; je ne laissai plus mon poème sous mon devoir, il fut reporté dans la cachette du mur à sec, où il était en sûreté. À mon retour, j’entrevis l’abbé Thomas qui venait de fouiller à ma place… Quelques jours s’écoulèrent.

Un matin, l’on m’annonça un voyage à Lichères ; j’avais pris en affection le chemin de ce village, le marchand de chaux Lemoine, son vin blanc et son