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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/219

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j’ignorais encore toute l’étendue de mon malheur ; car ce trait-ci devait avoir de bien plus terribles suites que mes vers !… L’heure du souper arrive ; le curé entre. Il jette sur moi un regard enflammé. Il bénit la table, et, prêt à s’asseoir, il dit, en me regardant : « Tu qui manducabas panes meos mecum, ipse levavisti pedem tuum contra me !… » Ce verset du Psaume me dit tout. Ce fut alors que mon imagination naturellement effarouchée se peignant ma faute sous les plus noires couleurs, mon cœur se serra. Je fus tenté de fuir après le souper. Il ne me fut pas possible. En sortant de table, après deux ou trois tours dans la chambre, le curé s’agenouilla, fit, suivant, l’usage, la prière du soir en Français, et commença ensuite les sept Psaumes de la Pénitence, auxquels il joignit celui dont il venait de m’appliquer un verset : « Toi mon commensal, qui mangeais mon pain avec moi, tu as levé le pied contre moi !… »

Je laisse à penser dans quelle situation terrible je me trouvais !… Le lendemain matin, tout le monde était en l’air, comme la veille ; on ne m’avait encore rien dit de ma lettre, ni fait aucun reproche. Je me trouvai seul un instant. Le curé entra ; il me fit signe, sans parler ; il me la lut : puis, sans rien ajouter, il sortit. M. le chapelain arriva pour lors ; il entra dans la chambre du curé, suivi de l’abbé Thomas. On allait m’appeler sans doute : je profitai du moment où j’étais seul, pour m’échapper, et gagner la maison paternelle.