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1749 — MONSIEUR NICOLAS

que je jugeais le curé, d’après moi-même, et moi par le curé : car pour l’abbé Thomas, il y avait longtemps que son épaisseur m’avait frappé ! Je m’étais souvent moqué de lui tout bas, dans les leçons qu’il me donnait ; et peut-être s’en était-il aperçu ; ce qui ne dut pas me faire aimer ! Car il est à présumer que la haine de mes frères n’était pas absolument gratuite, quoiqu’elle eût commencé avant mes grands torts ; on sait que je n’étais timide que par excès d’orgueil : mais personne au monde n’approuvera le genre de leur vengeance. Je me disais quelquefois à moi-même : « Cette vengeance là est indigne de Restif ; elle ne convient qu’à des Dondéne… »

J’étais dans ces dispositions, lorsque le vendredi-saint arriva. Une bagatelle mit ce jour-là le comble à mes torts. Je dis une bagatelle, car je proteste ici que je n’eus aucun des motifs que le curé me prêta. Ce furent l’anéantissement où j’étais tombé, le mépris qu’on était parvenu à m’inspirer pour moi-même, qui seuls, sans aucune autre cause, me firent omettre une cérémonie de religion, assez indifférente en elle-même. L’usage est, que tout le monde aille adorer la croix entre les mains du célébrant : certainement ce n’est pas un devoir ordonné… J’avais dessein d’y aller comme les autres ; d’abord, par humilité, je laissai passer les premiers du bourg ; je différai toujours, et le tour des femmes vint, avant que j’eusse pu trouver la hardiesse de me lever. Je ne crus pas à propos d’y aller avec elles : tout le